Piliers de la finance « verte » européenne et d’une économie durable et éthique, ces textes prévoient des entrées en application progressives et graduées dont l’objectif initial était de laisser le temps nécessaire aux acteurs concernés de les analyser et de les mettre en œuvre. Si le règlement Taxonomie, d’application directe, a achevé son parcours d’implémentation, les deux directives débutent à peine les leurs : en 2025, la directive « CSRD » n’a vu son application ne concerner que les grandes sociétés cotées de la « vague 1 » situées dans les États membres ayant transposé cette directive (malgré un délai prenant fin au plus tard le 6 juillet 2024), tandis que le délai de transposition de la directive « CS3D » dans les législations internes des États-membre courait encore jusqu’au 26 juillet 2027. Pourtant, l’Union européenne a d’ores-et-déjà décidé de réviser ces textes sur l’autel de la simplification et de l’attractivité du marché unique[4].
Tiraillée entre ses objectifs affichés en 2019 et la nécessité de relancer la compétitivité de son économie, l’Union européenne s’est engagée dans un processus complexe et inédit.
Simplifier les normes de reporting RSE sans compromettre les objectifs du Pacte vert
Ce choc de simplification, qui constitue un défi historique, n’est pas sans risques pour l’Union européenne. Il doit à la fois maintenir à un haut degré de priorité les engagements pris par l’Union en matière de transition climatique tout en simplifiant des normes ambitieuses et louables, mais qui ont été jugées par certains milieux d’affaires comme complexes, disproportionnées, coûteuses, et parfois, inefficaces faute d’étude d’impact au moment de leur adoption. Dans la Déclaration de Budapest[5] fin 2024, les dirigeants de l’Union européenne ont ainsi appelé à « lancer une révolution en matière de simplification » et à « réduire drastiquement les charges administratives, réglementaires et de déclaration » tout en « poursuivant l’objectif de parvenir à la neutralité climatique d’ici à 2050 ».
Pour parvenir à concilier ces objectifs a priori contradictoires, la Commission européenne a lancé en février 2025 un vaste chantier de révision de la règlementation (le paquet législatif « Omnibus ») qui vise à améliorer la compétitivité de l’Union en réduisant la « charge administrative » de 25 % pour les entreprises (et de 35 % pour les PME).
Directive « Stop the clock »
Le premier texte issu du paquet législatif « Omnibus » publié au Journal Officiel de l’Union européenne du 16 avril 2025 est la directive « stop-the-clock »[6] qui reporte de deux ans les obligations de la directive « CSRD » pour les rapports attendus en 2026 et 2027 (entreprises de la vague 2 et 3), et d’un an la date limite de transposition et de la première phase d’application de la directive « CS3D ».
Règlement « Taxonomie »
S’agissant du règlement « Taxonomie », un projet d’acte délégué[7], adopté par la Commission européenne, vise notamment à réduire la publication d’informations en exemptant les entreprises (financières comme non-financières) d’effectuer une évaluation de l’éligibilité et de l’alignement à la taxonomie en ce qui concerne les activités économiques qui ne seraient pas financièrement significatives pour leurs activités. D’autres mesures de simplification sont proposées comme la réduction du nombre de points de données à déclarer dans les modèles de déclaration de la taxonomie (réduction de -64 % pour les entreprises non financières et de -89 % pour les entreprises financières). Ce projet d’acte délégué, qui doit être examiné devant le Parlement européen et le Conseil, devrait considérablement alléger le rapport taxonomie à partir du 1er janvier 2026 (couvrant l’exercice 2025), avec une faculté pour les entreprises concernées de le reporter d’un an si elles le souhaitent.
« CSRD » et normes « ESRS »
Concernant la directive « CSRD », une directive de simplification (dite directive « content ») doit être adoptée d’ici la fin d’année 2025 / début d’année 2026. La version proposée par la Commission vise à réduire considérablement le périmètre du champ d’application du texte pour ne l’appliquer qu’aux sociétés de plus de 1.000 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50M € ou le total de bilan est supérieur à 25M €. Le Conseil a proposé de réduire davantage ce périmètre en rehaussant le seuil de chiffre d’affaires à 450M €. Les entreprises qui sortiraient de ce cadre réglementaire seraient invitées à appliquer la norme volontaire allégée destinée aux PME (« Voluntary Sustainability Reporting Standards for non listed SMEs »)[8]. Le Parlement doit adopter sa position sur cette directive « content » d’ici la mi-octobre avant un début d’examen en trilogue en fin d’année. De leurs côtés, les normes « ESRS », qui viennent en application de la directive « CSRD », sont également en cours de révision. En effet, la Commission européenne a chargé l’EFRAG de rendre un avis technique d’ici le 30 novembre 2025 contenant des propositions de simplification. Le 31 juillet dernier, l’EFRAG a publié un premier projet de révision[9] qui propose de réduire de plus de deux tiers l’ensemble des informations à fournir, de clarifier le langage et la structure globale des normes.
Directive « CS3D »
Enfin, la directive « CS3D » va également bénéficier de cet exercice de simplification puisque la directive « content » (susmentionnée) prévoit aussi un réexamen du « devoir de vigilance » européen à peine adopté. Son objectif est notamment d’alléger le processus d’évaluation des incidences négatives dans les chaînes de valeur, de réduire le niveau d’intégration des parties prenantes dans l’élaboration du rapport et de supprimer les obligations relatives à la responsabilité civile. Si son périmètre reste inchangé dans la version proposée par la Commission, le Conseil souhaite quant à lui rehausser les seuils de salariés (5.000 au lieu de 1.000 actuellement) et de chiffre d’affaires net mondial (1,5 mds € au lieu de 450M € actuellement).
En l’état des discussions actuelles, le « choc de simplification » proposé par la Commission européenne devrait permettre d’ajuster le trio « Taxonomie / CSRD / CS3D » vers un cadre réglementaire proportionné et plus facile à mettre en œuvre par les entreprises.
Un contexte international marqué par une incertitude autour des enjeux de durabilité
Ces deux dernières années ont été impactées par un ralentissement des intentions, des financements et de la réglementation en matière de durabilité. Ce qui a pu parfois s’apparenter à un retour en arrière ou à un mouvement « anti-ESG » a principalement touché les Etats-Unis. En effet, plusieurs décisions de désengagement en matière d’ESG ont été particulièrement marquantes outre-Atlantique : adoption d’actes législatifs « anti-ESG » (notamment au Texas, en Virginie-Occidentale, Kentucky, ou Oklahoma), démantèlement ou retraits d’acteurs majeurs américains de plusieurs coalitions internationales (Net-Zero Banking Alliance, Net-Zero Asset Manager Alliance, Glasgow Financial Alliance for Net Zero), abandon du projet de norme climatique obligatoire à destination des sociétés cotées américaines par la Securities and Exchange Commission, fin des programmes de diversité, équité et inclusion dans de nombreuses sociétés américaines, etc. Par ailleurs, la nouvelle administration s’est ouvertement montrée hostile à certaines conventions internationales, telles que les Accords de Paris, et a adopté une réglementation favorable aux énergies fossiles.
Si ce rétropédalage de la première puissance mondiale a pu influencer le Royaume-Uni dans sa décision d’abandonner son projet de taxonomie verte et l’Union européenne dans sa démarche de simplification, d’autres pays ont quant eux décidé d’intensifier leurs efforts en matière de RSE. Par exemple, en septembre 2024, l’Australie est devenue le premier pays au monde à avoir intégré dans sa législation une norme de reporting climatique alignée sur l’ISSB (« Treasury Laws Amendment Bill 2024 ». Depuis le 1er janvier 2025, et conformément à une approche d’entrée en application progressive, les grandes entreprises australiennes, cotées ou non, sont tenues de publier ces informations sur le climat. Autre exemple, la Chine mène actuellement des travaux exigeants en vue d’élaborer un reporting de durabilité s’inspirant notamment de la directive « CSRD » et des normes de l’ISSB, en particulier l’IFRS S1 (« China Corporate Sustainability Reporting Standards – Basic Standards »). Ce projet de reporting RSE devrait dans un premier temps s’appliquer aux grandes sociétés chinoises cotées avant d’être progressivement étendu aux sociétés de plus petite taille. Le volet climatique de la norme pourrait entrer en application dès 2027 et en 2030 pour le reste. Le Royaume-Uni, malgré son retour en arrière sur la taxonomie verte, s’est d’ores-et-déjà doté d’un cadre réglementaire en matière de publications d’informations climatiques[10] et s’oriente vers la mise en place d’un ensemble normatif plus complet aligné sur les normes de l’ISSB.
D’autres poches importantes de résistance viennent contrebalancer les initiatives « anti-ESG ». Par exemple, concernant les sujets de biodiversité, sous l’inspiration de ce qui existe déjà en matière climatique, se développent depuis peu des coalitions internationales (« Science Based Targets Network », « Taskforce on Nature-related Financial Disclosures », « Nature Action 100 », « Natural Capital Protocol », etc.), des accords internationaux, tel que le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming qui s’apparente à un « Accord de Paris de la biodiversité », ou des concepts clés comme le « plan de transition biodiversité ». Les sujets de pollution, notamment plastique, sont également devenus des enjeux majeurs comme l’atteste les négociations en cours autour d’un traité mondial visant à lutter contre la pollution plastique. Surtout, nul ne peut nier que les « contentieux émergeants » se sont fortement développés ces dernières années. Avec notamment plus de 2.600 contentieux climatiques en cours dans le monde, contre 1.500 en 2020 et 884 en 2017[11], cette dynamique judiciaire touche aussi bien les entreprises que les États eux-mêmes (v. notamment la France, la Suisse, l’Italie). Certaines cours de justice internationales ou nationales ont récemment rendu des décisions historiques concernant la responsabilité des États ou des entreprises face au changement climatique (par exemple, avis de la Cour internationale de justice du 23 juillet 2025 et décision de la Cour interaméricaine des droits de l’homme du 3 juillet 2025).
Enfin, s’agissant des entreprises elles-mêmes, il convient de préciser que nombre d’entre-elles continuent d’investir massivement dans la transition climatique. C’est ce qui ressort notamment du dernier classement annuel Global 100 de CorporateKnights[12], qui observe que les entreprises les plus vertueuses accroissent sensiblement leurs investissements « verts » année après année. Les retours d’expériences des premiers rapports de durabilité publiés en 2025 permettent de conclure, pour un grand nombre d’entreprises, que l’exercice peut s’avérer être un vrai outil de pilotage interne et un levier de transformation. Pour les entreprises de plus petite taille, cet exercice est plus compliqué et son appropriation prendra plus de temps.
*
Le « choc de simplification » proposé par l’Union européenne vient en réponse à une surrèglementation intensive qui a pu fragiliser le tissu économique européen. À court terme, il ajoute de l’incertitude à l’incertitude et renforce le décalage de compétitivité notamment entre les entreprises européennes. À moyen et long terme, il devrait avoir pour effet de réajuster le dispositif actuel de reporting RSE et de repositionner le curseur au bon niveau de sorte à pallier les griefs de complexité soulevés, mais sans aller jusqu’à déréguler et se retrouver à contre-courant d’une tendance mondiale qui mène progressivement les grands pays industrialisés à développer des standards de reporting RSE. Ainsi, l’enjeu ultime autour des négociations finales en trilogues qui débuteront en fin d’année et décideront du sort réservé aux directives « CSRD » et « CS3D », sera de trouver un cadre réglementaire acceptable et proportionné pour les entreprises tout en maintenant un haut degré d’exigence pour parvenir à l’objectif de neutralité climatique.
[1] Règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables
[2] Directive (UE) 2022/2664 du 14 décembre 2022 relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises
[3] Directive (UE) 2024/1760 du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité
[4] V. le rapport de Mario Draghi « L’avenir de la compétitivité européenne », 9 septembre 2024
[5] Conseil de l’Union européenne, 8 novembre 2024
[6] Directive (UE) 2025/794 du 14 avril 2025 modifiant les directives 2022/2464 et 2024/1760 en ce qui concerne les dates à partir desquelles les États membres doivent appliquer certaines obligations relatives à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises et au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité
[7] Commission delegated regulation of 4 July 2025 C(2025) 4568 final
[8] En cours d’adoption.
[9] En cours de consultation publique, jusqu’au 29 septembre 2025.
[10] V. les règlements « Companies (Strategic Report) Climate-related Financial Disclosure Regulations 2022 » et « Limited Liability Partnerships (Climate related Financial Disclosure) Regulations 2022 »
[11] Grantham research Institute on Climate Change and the Environment (London School of Economics)
[12] 2025 Global 100 list: World’s most sustainable companies are still betting on a greener world