« IA vs RH » par Sia Partners : L’IA a encore besoin d’intelligence humaine


« IA vs RH » par Sia Partners : L’IA a encore besoin d’intelligence humaine
Chaque mois, les experts du cabinet de conseil Sia décryptent pour Liaisons Sociales la révolution de l'intelligence artificielle (IA) et son impact sur les ressources humaines. Dans cette chronique, Sébastien Vernède, associé RH & Transformation, pose le constat d’une déception relative quant à l’adoption de l’IA dans les RH et insiste sur la nécessité de mobiliser plus d’intelligence humaine pour tirer le plein potentiel de ces technologies.

Force est de constater que la révolution annoncée de l’intelligence artificielle dans les ressources humaines n’a pas encore eu lieu. Pourtant, l’immense majorité des grandes entreprises ont lancé de grandes campagnes de formation à l’IA, nommé des référents IA RH, et investi dans des expérimentations avec quelques résultats tangibles. On observe ainsi l’émergence de chatbots collaborateurs capables de fournir des réponses sur la politique RH de l’entreprise, ou encore le développement de « talent marketplaces » qui mettent en relation les compétences des salariés avec les opportunités de mobilité interne.

Malgré ces initiatives, un sentiment de déception persiste : l’IA peine à ce jour à s’intégrer dans le quotidien des équipes RH et à transformer réellement l’expérience collaborateur.

Un cadre réglementaire contraignant

Les données RH, par nature personnelles et souvent confidentielles (nom, âge, ancienneté, fonction, compétences, rémunérations) sont soumises à des régulations strictes. En particulier, l’IA Act a explicitement identifié les cas d’usage RH comme « à haut risque », imposant une supervision rigoureuse des algorithmes utilisés, par exemple dans le recrutement, pour éviter les biais et les discriminations indirectes.

Ce cadre est souvent perçu comme un frein à l’innovation, surtout quand les États-Unis ou la Chine ne s’encombrent pas de ces précautions. Cependant, en Europe, et particulièrement en France, il est vu comme un gage de confiance indispensable pour le déploiement de solutions IA éthiques et sécurisées.

Au-delà du chatbot, de nouveaux horizons

L’immense succès populaire de ChatGPT a ancré l’idée que l’IA générative est nécessairement une interface en langage naturel avec un chatbot. Pourtant, cette approche peut s’avérer limitante et fastidieuse à l’usage. L’IA offre bien plus que des interactions textuelles : elle peut transformer des processus complets en intégrant diverses briques d’intelligence artificielle.

Par exemple, l’identification des risques de démission des salariés et la personnalisation des parcours de formation à partir de questionnaires d’évaluation des compétences sont des applications RH prometteuses. Ainsi, l’organisme de formation Cegos propose déjà à ses apprenants d’approfondir les compétences non totalement maîtrisées à l’issue d’une formation grâce à un moteur d’évaluation et de recommandation utilisant l’IA.

La prochaine étape consistera à automatiser entièrement des processus complexes, comme les contrôles de paie, grâce à des « agents IA ».

Des ponts à construire entre experts Data/IA et RH

Le monde de l’IA et celui des RH restent encore très cloisonnés. Au-delà des quelques experts IA/RH, il est crucial que tous les professionnels RH développent des compétences en matière d’IA, si ce n’est techniques, au moins dans la compréhension du fonctionnement des modèles ; et dans le même temps, que des experts Data / IA se spécialisent sur les applications RH pour en comprendre les spécificités et les enjeux.

En effet, développer des solutions sur mesure, adaptées aux enjeux spécifiques de chaque entreprise, nécessite une collaboration étroite et une compréhension mutuelle. Les défis à relever sont nombreux : se comprendre, communiquer efficacement, travailler ensemble sur des cas d’usage concrets et, surtout, réussir le déploiement à grande échelle.

L’intelligence humaine au cœur de la révolution IA

Les modèles d’IA sont tellement impressionnants qu’on en oublie souvent qu’ils ne sont pas magiques. Tous les cas d’usage de l’IA qui ont démontré leur valeur et, plus encore, qui ont réussi l’étape du passage à l’échelle ont nécessité des moyens, du temps, de la collaboration, et, finalement, de l’intelligence humaine.

La légère déception qui prédomine actuellement est finalement assez saine, elle démontre le retour à des attentes moins surdimensionnées et la prise de conscience que les seules solutions qui s’imposeront durablement devront répondre à un besoin concret et propre à une organisation (ses métiers, sa culture, son histoire, ses compétences…). On constate en effet qu’environ 70 % des projets IA ne passent pas le stade de l’expérimentation en raison, non pas des capacités des outils, mais car ils n’apportent pas une valeur ajoutée suffisante à l’organisation.

En conclusion, l’intelligence artificielle a encore et aura toujours besoin d’intelligence humaine. Les défis sont nombreux, mais les opportunités le sont tout autant. En intégrant le cadre réglementaire, en élargissant notre vision de l’IA et en construisant des ponts entre les experts data et les professionnels RH, nous pourrons enfin tirer pleinement parti de cette révolution technologique.

Sébastien Vernède
Partner RH & Transformation chez Sia Partners