Remise du rapport sur l’open data – faire coexister transparence et protection


Remise du rapport sur l’open data – faire coexister transparence et protection
En juillet, un rapport sur l’open data des décisions de justice a été remis à l’actuel garde des Sceaux par Daniel Ludet, conseiller honoraire à la Cour de Cassation. Le document revient sur les bénéfices de la publication des décisions judiciaires et propose des modifications législatives.

Déjà 1.300 000 décisions de justice en accès libre. À terme, plus de 300.000 décisions annuelles pour l’ordre administratif et plus de 3 millions pour l’ordre judiciaire. La marche forcée vers la transparence des décisions publiques inclut celles relatives au droit. Le cadre de mise à disposition des décisions judiciaires a été défini par la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016. Il a été précisé par la loi 2019 portant programmation 2018-22 de réforme pour la justice.

Mais l’accessibilité des données judiciaires s’accompagne de son lot d’inquiétudes et de questionnements. Des questionnements qui ne sont pas propres à la France, la totalité des États-membres de l’Union européenne mettant à disposition du public des décisions de justice, sinon toutes, du moins une sélection.

Les questionnements les plus prégnants sont ceux liés à la sécurité des magistrats. A l’heure où les critiques d’une justice « instrumentalisée » ou « politique », où les commentaires haineux ou désobligeants sont légion, il parait plus que nécessaire d’installer des garde-fous. Lors de l’enquête européenne sur l’open data des décisions de justice publiée en 2022, la communication des données personnelles était déjà montrée du doigt, que ce soit pour les magistrats ou les parties.

Des risques liés à la communication des données personnelles et des informations sensibles

Et les risques ne pèsent pas seulement sur les personnes physiques, ils concernent aussi les entreprises. La publication de données sensibles, notamment dans le cas de procédures collectives, fait état de leur vulnérabilité pour des sources parfois malintentionnées. Ce sont des alertes relayées par les organisations patronales, avant même la publication des décisions des tribunaux de commerce. Les organisations sont inquiètes non seulement d’une concurrence mal intentionnée mais aussi d’une atteinte potentielle à la souveraineté et à la sécurité économiques. La mise à disposition gratuite de données judiciaires met aussi en difficulté certains acteurs économiques qui en font la base de leur modèle économique. La gratuité est aussi questionnée selon le rapport « dans une période de fortes contraintes pesant sur les finances publiques ». Selon les auteurs, l’Etat pourrait monétiser ce contenu précieux.

Vers une modification législative du code de l’organisation judiciaire

Le rapport dresse six propositions portant modification législative du code de l’organisation judiciaire (art L.111-13)

En premier lieu, il confirme la nécessaire occultation avant toute diffusion au public des noms des personnes physiques, déjà en vigueur, mais aussi des adresses et localités, et des chaînes de caractères (texte brut) directement identifiantes. L’occultation concernait donc aussi le nom des magistrats et des membres du greffe par principe. A ce stade, masquer le nom des magistrats peut être obtenu sur demande individuelle expresse, lorsque l’identification est de nature « à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée ». Cette occultation systématique fait débat, en tant qu’elle pourrait nuire à l’incarnation de la justice.

Il est à noter que le nom des avocats serait également masqué. Enfin, la dénomination sociale des sociétés serait cachée.

Ceci étant, pour tenir compte de l’activité de certains utilisateurs ou legal techs, qui ont besoin de décisions dites complètes ou intègres, une base enrichie pourrait être mise à disposition moyennant convention financière ou licence. Ces versions enrichies sont nécessaires aux bases de données mais aussi aux entraînements d’IA. Les utilisateurs souscripteurs seraient alors liés par un accord qui préciserait les obligations quant à la réutilisation de ces données ou la divulgation à des tiers. Le rapport préconise de poursuivre la réflexion sur la coexistence d’un modèle gratuit et d’un modèle payant, et notamment d’approfondir les questions de garanties de confidentialité des secrets protégés.

Marine Landau
Journaliste