Citant un rapport publié en décembre 2024, par la Fondation Friedrich Ebert, reposant sur une enquête menée auprès de représentants syndicaux affiliés à UNI Europa dans 32 pays, l’étude souligne que 20 % des syndicats ont déclaré avoir conclu un accord collectif traitant de l’IA au niveau de l’entreprise ou de la branche, tandis que 42 % ont indiqué qu’ils participaient à des discussions ou à des négociations dans le cadre du dialogue social sur des questions liées à l’IA.
Par ailleurs, deux déclarations communes sur l’IA ont été adoptées au niveau du dialogue social européen, l’une dans le secteur bancaire, en mars 2024, et l’autre dans les assurances, en mars 2021. « Ces textes ont été des sources d’inspiration pour la négociation d’entreprise et de branche au niveau national », relève l’étude. Ainsi, des exemples de négociations collectives sur l’IA ont été signalés en Italie au niveau intersectoriel, en Belgique et en Irlande au niveau sectoriel, et au Danemark au niveau des entreprises. En Espagne, il existe des exemples de négociations collectives sur l’IA à ces trois niveaux.
Une désignation de responsables de l’IA dans les entreprises
Par exemple, l’accord intersectoriel italien du 15 avril 2024 a modifié la convention collective nationale couvrant notamment le commerce et certains services en imposant aux entreprises de créer deux nouvelles fonctions chargées de gérer et de coordonner l’introduction des outils d’intelligence artificielle dans l’entreprise, de manière constructive et responsable. Ainsi, les entreprises doivent désigner un responsable senior de la gestion et de la coordination de l’IA et un expert en éthique de l’IA et en responsabilité qui auront pour objectif d’évaluer l’impact que l’introduction de l’IA pourrait avoir dans l’entreprise, en contrôlant le risque de remplacement pour les tâches les plus concernées, en essayant de valoriser au maximum chaque ressource humaine.
En Belgique, des clauses relatives à l’IA ont été introduites, en 2024, dans les conventions collectives des banques et des assurances afin de souligner la nécessité de dispenser des formations sur l’IA (par le biais des fonds sectoriels de formation) et d’introduire des références explicites à la convention collective nº 39 du 13 décembre 1983 sur l’information et la consultation concernant l’impact social des nouvelles technologies.
« Ce texte stipule, précise l’étude, que lorsqu’un employeur décide d’investir dans une nouvelle technologie ayant des implications collectives importantes pour l’emploi, l’organisation du travail ou les conditions de travail, il est tenu de fournir des informations écrites sur la nature de la nouvelle technologie, les facteurs justifiant sa mise en œuvre et son impact social. Il doit également consulter les représentants des salariés sur les conséquences sociales de son introduction. »
Une instance virtuelle des représentants du personnel
L’étude revient sur le contenu de l’accord conclu au Danemark, en 2024, entre la plateforme de nettoyage Hilfr et le syndicat 3F, le plus grand syndicat danois avec plus de 250 000 adhérents. L’accord prévoit notamment que Hilfr, en tant qu’employeur, assume l’entière responsabilité des décisions algorithmiques, qui peuvent être contestées par le biais du système danois de résolution des conflits du travail. « L’accord, note l’étude, va au-delà de la réglementation européenne en exigeant que Hilfr assume la responsabilité d’expliquer et de justifier les décisions prises par les algorithmes. Cela implique notamment de préciser les fondements des décisions et de remédier aux préjudices procéduraux potentiels causés par l’utilisation des systèmes numériques ».
Pour remédier à la dispersion géographique du personnel, l’accord met en place une plateforme qui permet « aux travailleurs d’accéder à un “clubhouse numérique” où ils peuvent recevoir des conseils, élire des représentants et discuter de leurs conditions de travail sans la surveillance de l’employeur ».
L’étude signale aussi des accords d’entreprise signés en Allemagne, comme celui d’IBM, conclu avec le comité d’entreprise, pour encadrer « les conditions d’introduction, d’exploitation et de développement des systèmes informatiques, y compris l’IA, ou bien encore le manifeste pour l’utilisation de l’IA signé chez Deutsche Telekom qui stipule que l’utilisation des systèmes d’IA ne doit pas avoir d’impact négatif sur la sécurité, la santé et les droits fondamentaux des salariés.
Enfin, en Espagne, l’étude recense des accords sectoriels notamment dans la banque, les établissements de crédit ou les assurances, ainsi que certains accords au niveau des entreprises (par exemple chez El Norte de Castilla, Air Nostrum, Acciona Mobility et AXA) qui « ont introduit des clauses réglementant la mise en œuvre de l’IA. Ces clauses visent principalement à protéger les travailleurs contre l’utilisation indiscriminée d’algorithmes et à garantir la transparence des décisions fondées sur l’IA qui ont une incidence sur les conditions d’emploi ». « Certains accords, ajoute l’étude, prévoient également des garanties en matière de sécurité de l’emploi et des dispositions relatives à la formation afin d’aider les travailleurs à s’adapter aux technologies d’IA. »
Une articulation entre initiatives européennes et négociations locales
Pour l’auteur, Peter Kerckhofs, chercheur senior à Eurofound, « les développements nationaux s’inspirent et sont facilités par les développements européens, comme l’accord-cadre européen des partenaires sociaux sur la numérisation de juin 2020 » qui « mentionne l’IA et les modalités de connexion et de déconnexion ». « Le lien entre les négociations collectives nationales dans les secteurs des banques et des assurances au niveau national et la déclaration conjointe des partenaires sociaux européens dans ces secteurs est un autre exemple de cette articulation », souligne-t-il.
De plus, « au niveau des entreprises multinationales, de plus en plus de CE européens développent également des initiatives visant à fournir un cadre pour l’utilisation de l’IA et son impact sur les conditions de travail ». En conclusion, « l’IA est un phénomène de plus en plus important dans le dialogue social et un nouveau domaine émergent de la recherche sur les relations sociales », confirme Peter Kerckhofs.