Les enjeux de l’adoption de l’IA pour les collectivités locales


Les enjeux de l’adoption de l’IA pour les collectivités locales
Quels apports de l’IA pour les collectivités locales et quelles bonnes pratiques à mettre en œuvre pour assurer son implémentation ?

Un rapport d’information des sénateurs Pascale Gruny (les Républicains) et Ghislaine Senée (Ecologiste – Solidarités et Territoires) – qui n’a pas valeur de loi, mais fait l’objet de discussion dans l’hémicycle – a été adopté par le Sénat le 13 mars dernier. Ce rapport produit par la délégation aux collectivités territoriales met en lumière les enjeux liés à l’IA pour les collectivités locales aussi bien en bénéfices qu’en contraintes. Et formule des recommandations opérationnelles à l’intention des décideurs locaux.

Des cas d’usage d’utilisation de l’IA

Avant de lister les usages pratiques de l’IA à destination des collectivités, le rapport fait un travail rapide de pédagogie. Citant une publication du Conseil d’État qui relevait en 2022 que « la culture de l’IA est faible, voire inexistante chez la plupart des agents publics, y compris à haut niveau de responsabilité », le rapport de la délégation relève que même si des efforts d’apprentissage importants ont été menés, des lacunes demeurent.

Revenant aux fondamentaux, le document rappelle ce qu’est l’IA: une machine produisant des résultats intellectuels, similaires à ceux d’un cerveau humain, à condition de réunir trois éléments clés: un volume de data de qualité satisfaisant, une capacité de calcul exceptionnelle et un algorithme puissant. La réunion de ces trois critères n’excluant évidemment pas interventions et contrôles humains, aussi bien a priori qu’a posteriori pour assurer la fiabilité de la production.

Le rapport dresse ensuite une liste d’usages pour lesquels les collectivités locales pourraient tirer parti de l’IA, dans une approche qui permettrait de réconcilier demande de services publics et efficacité de l’action publique locale.

Sur le plan de leur organisation interne, les collectivités pourraient décharger certains agents des tâches fastidieuses qui leur incombent. L’IA pourrait alors prendre en charge tâches répétitives, fastidieuses et chronophages comme la saisie de données, de l’archivage de fichiers, du traitement de dossiers, de la rédaction d’actes administratifs ou encore de recherches juridiques. Des cas d’usage ont été répertoriés, dans différents services des collectivité (communication, services informatiques, veille et l’analyse juridique, gestion des ressources humaines, gestion comptable ou cabinets des exécutifs locaux). L’IA peut également se révéler un précieux outil pour améliorer les politiques publiques des collectivités. En allant même dans certains cas jusqu’à assumer des fonctions de service aux usagers…Ainsi la ville de Plaisir dans le département des Yvelines a mis au point un robot conversationnel pour informer ses usagers. La communauté d’agglomération du Sicoval (Haute-Garonne) a elle recours à l’IA pour l’analyse de l’usage des places de stationnement. L’IA a aussi été utilisée pour l’analyse des images de vidéosurveillance pour la sécurisation des Jeux Olympiques de Paris.

Trois axes de mise en œuvre

Une fois l’intérêt de l’IA pour les collectivités locales défriché, le rapport propose surtout des pistes de mise en œuvre opérationnelles, assorties d’un calendrier de mise en œuvre allant de un à cinq ans. Certaines actions devant faire l’objet de lois ou circulaires, d’autres d’une décision de la collectivité.

Le document identifie trois axes de mise en œuvre, le premier portant sur les enjeux de formation et de sensibilisation à destination des élus et des agents de collectivités. Inutile de vouloir prêcher la bonne parole aux citoyens sans impliquer d’abord les élus. Sur ce même volet de l’acculturation, le rapport propose aux collectivités de définir des processus pour impliquer les citoyens.

Le deuxième axe concerne la culture de la donnée – ou data management – de sa collecte à son traitement. Le rapport encourage le déploiement d’une ingénierie IA à l’échelle de la collectivité, pour offrir une assistance technique mais aussi pour concevoir et intégrer des outils d’IA adaptés aux enjeux locaux. Et ce dès 30.000 à 40.000 habitants. Cela peut prendre la forme de la nomination d’un administrateur général des données (Chief data officer), un réseau de référents data ou un Comité Data ou d’une Direction de la donnée pour les très grandes collectivités.

Dans une recommandation complémentaire, le rapport préconise également de développer les échanges inter-collectivités pour éviter « le décrochage entre les petites et grandes collectivités au regard de l’IA ». Le document plaide notamment la mise en place à titre expérimental de comités territoriaux de la donnée qui regrouperaient plusieurs acteurs, dont l’Etat. Soucieuses d’assurer le rééquilibrage entre certaines collectivités « matures », dotées de ressources humaines et financières supérieures, le rapport propose de structurer le développement de projets autour de collectivités « chefs de file », à même de construire et partager une expertise.

L’IA restant une technologie énergivore, comme le relève le rapport, qui rappelle que poser 25 questions à ChatGPT équivalait à dépenser un demi-litre d’eau douce. Au rang des recommandations, la prise en compte du bilan environnemental lors de l’attribution de marchés publics et le classement des projets IA menés par les collectivités dans une bibliothèque nationale numérique dédiée où cette empreinte pourrait être consultée.

La sécurisation des volets juridiques et éthiques

Intéressant tout particulièrement les professionnels du droit, le rapport insiste sur un troisième axe : la sécurisation du recours à l’IA. Le sujet particulièrement mis en évidence est celui de la responsabilité en cas de recours à l’IA qui peut frapper les collectivités en tant que personne morale, les élus et les agents publics. Le rapport pointe notamment la responsabilité qui repose sur les élus et agents comme pouvoir adjudicateur dans la passation de contrats avec des sous-traitants dont ils doivent s’assurer de la conformité.

Afin de se prémunir des risques liés à un marché peu mature, plusieurs couches de protections sont attendues, et notamment une analyse de sécurité classique et une analyse des risques spécifiques aux systèmes d’IA. Les élus pouvant selon le rapport s’appuyer sur le droit numérique dont l’IA est une branche.  Ensuite, le rapport se réfère en synthèse à un « droit de la conformité » ou compliance assez nouveau en France tout en faisant aussi référence au cadre européen, le AI Act. Enfin, concernant les risques cyber, le rapport propose un délai de mise en conformité des collectivités territoriales de trois ans au lieu de cinq pour la directive dite NIS2 devant l’aggravation du cyber-risque.

Le volet éthique n’est pas écarté, le document indiquant notamment « qu’il ne se confond pas avec l’arsenal juridique dont se dotent aujourd’hui les États ». Pour autant, le document reste assez flou. Le rapport indique ainsi que « tout projet d’IA doit intégrer de fortes exigences éthiques », sans les lister plus avant. En complément, il propose un support, la rédaction d’une charte éthique, en permettant à la collectivité de fixer principes, valeurs et normes éthiques.

Marine Landau
Journaliste