La protection des créations générées par intelligence artificielle : analyse du rapport de l'U.S. Copyright Office et perspectives pour le droit français


La protection des créations générées par intelligence artificielle : analyse du rapport de l'U.S. Copyright Office et perspectives pour le droit français
En janvier 2025, l'U.S. Copyright Office a publié un rapport très attendu sur les interactions entre l'IA et le copyright. Ce document, fruit d'une consultation publique lancée en 2023, établit des critères précis pour déterminer la protégeabilité des créations impliquant une intelligence artificielle (IA).

Cette prise de position américaine, qui doit cependant être nuancée depuis le limogeage de la Directrice de l’U.S. Copyright Office par le Président des États-Unis le 10 mai dernier, revêt une importance particulière pour les juristes français, car elle intervient dans un contexte où l’Union européenne développe parallèlement son propre cadre réglementaire pour l’IA.

La question centrale qui émerge est celle de la détermination des conditions sous lesquelles les créations impliquant une IA peuvent bénéficier d’une protection par le droit d’auteur ou le copyright. Cette problématique nécessite d’examiner tant les aspects techniques du processus créatif que les fondements conceptuels du droit d’auteur.

I) Les critères de protection des contenus impliquant une IA générative

L’U.S. Copyright Office affirme dans son rapport que les principes qui régissent le copyright sont suffisamment flexibles pour s’appliquer aux IA génératives et permettre de protéger les créations qui impliquent cette technologie en tout ou partie.

Sont ensuite détaillés plusieurs cas d’usage d’IA générative, ainsi que les critères qui permettent une protection par copyright des contenus générés.

A) Les contenus non protégeables : ceux générés sur la seule base d’un prompt textuel

L’Office conclut que les prompts (instructions écrites adressées aux systèmes d’IA générative afin de décrire le résultat souhaité) ne permettent pas un contrôle humain suffisant du résultat généré par IA. En conséquence, l’U.S. Copyright Office déclare qu’un contenu généré par IA sur la seule base de prompts textuels ne saurait bénéficier d’une protection par copyright.

Cette position se fonde principalement sur l’argument technique de l’imprévisibilité inhérente au processus de génération par IA : un seul et même prompt est soumis à l’interprétation du modèle d’IA utilisé et est susceptible de générer de très nombreux résultats différents, sur lesquels le créateur humain n’a aucun contrôle.

Cette position de l’U.S. Copyright Office implique donc qu’en l’état actuel du fonctionnement des IA génératives, les prompts seuls ne sont pas suffisants afin de démontrer un effort créatif humain. Une telle conclusion, motivée par des arguments purement techniques, pourrait être suivie dans d’autres pays et notamment en France. Cela implique qu’il serait bien inspiré de conserver des preuves matérielles plus diverses que les seuls prompts afin d’être en mesure de prouver l’existence d’un effort créatif humain en cas de contestation de l’existence d’un droit d’auteur.

B) Les contenus à protection conditionnelle : ceux retouchés par IA post génération

Selon l’U.S. Copyright Office, les outils d’IA qui permettent de modifier les outputs peuvent permettre de démontrer le contrôle humain du processus créatif et donc justifier une protection par copyright de l’output. Cette protection par copyright sera accordée au cas par cas, après examen de toutes les étapes de retouches.

L’Office a notamment précisé que les outils « vary region » et « remix mode » disponibles pour le modèle d’IA générative commercialisé par Midjourney peuvent permettre de démontrer le contrôle humain du processus créatif et donc justifier une protection par copyright de l’output. Les services d’« upscaling » des contenus générés par IA pourraient également permettre, dans certains cas, de témoigner d’un effort créatif humain selon l’Office.

C) Les contenus protégeables : ceux générés grâce à des éléments de référence

L’Office distingue les prompts textuels des « prompts expressifs », tels qu’une image de référence injectée dans l’outil d’IA générative afin de générer un nouveau contenu sur cette base. Dans le cas où le prompt expressif témoigne d’un effort créatif humain et que celui-ci est perceptible dans le résultat généré, la portion visible du contenu de référence est susceptible d’être protégée par copyright.

La portée de la protection pourrait donc être analogue à celle d’une œuvre dérivée, de sorte que tout copyright dans un résultat généré par IA sur la base d’un contenu de référence serait limité à la partie où l’expression d’un effort créatif humain est visible.

II) Les implications pratiques et stratégiques

Les créateurs et les entreprises doivent adapter leurs pratiques pour sécuriser la protection des contenus générés par IA. L’analyse des positions américaines révèle des stratégies concrètes à adopter, tout en anticipant les évolutions technologiques qui pourraient redéfinir les critères de protection. Ces recommandations pratiques s’appuient sur une compréhension technique des outils d’IA actuels et des exigences jurisprudentielles émergentes.

A) Les bonnes pratiques à adopter pour les créateurs

  1. Documenter le processus créatif

La conservation des preuves matérielles du contrôle humain du processus créatif devient cruciale. Cela inclut la documentation des étapes créatives, des choix artistiques, et des modifications apportées aux contenus générés par IA. L’affaire « A Single Piece of American Cheese » du 30 janvier 2025 illustre cette approche : l’U.S. Copyright Office a accordé une protection par copyright à l’œuvre digitale, car l’artiste avait démontré son intervention créative en fournissant un timelapse de la création et une explication détaillée de son rôle dans le processus.

  1. Ne pas seulement compter sur les prompts afin de prouver l’effort créatif humain

Selon l’U.S. Copyright Office, les prompts ne suffisent pas, dans l’état actuel de la technologie, à prouver un effort créatif humain car un prompt est soumis à l’interprétation de la machine et peut déboucher sur une multitude de résultats différents, sur lequel l’humain n’a aucun contrôle. Cette conclusion de l’U.S. Copyright Office, basée sur des constatations purement techniques, pourrait influencer d’autres pays, notamment la France. Il est donc fortement recommandé de ne pas se limiter à la conservation de prompts seuls afin de documenter le processus créatif. Il convient de conserver des éléments plus variés comme des croquis préparatoires, des modifications successives ou des choix artistiques afin de pouvoir défendre ses droits d’auteur en cas de contestation.

  1. Utiliser des éléments de référence propriétaires

L’injection de contenus de référence dont l’auteur détient les droits en guise d’instructions pour le système d’IA constitue une stratégie efficace pour sécuriser la protection du contenu généré par IA, sous réserve que ces éléments demeurent perceptibles dans le résultat. Cette approche permet de créer une « base protégée » sur laquelle s’appuie la création assistée par IA. Par exemple, un graphiste peut partir d’un de ses dessins existants afin de générer un contenu par IA sur cette base, puis y apporter des retouches personnelles. La présence d’éléments créatifs humains identifiables dans le contenu final renforce considérablement les chances d’obtenir une protection par copyright – et en droit d’auteur pour la France.

  1. Limiter la cession de droits sur des contenus 100% générés par IA

Il convient d’éviter de céder des droits sur des contenus dont la protégeabilité demeure incertaine, particulièrement pour les contenus générés par simple prompting. Cette prudence s’impose car céder des droits inexistants ou contestables peut créer des complications juridiques majeures et affaiblir la position contractuelle du créateur. Pour la France, il est préférable d’attendre une clarification jurisprudentielle ce sur point et de limiter les cessions aux œuvres où l’intervention humaine créative est clairement documentée et substantielle. Cette approche protège les créateurs contre d’éventuelles actions en responsabilité contractuelle tout en préservant leurs droits sur des créations dont la valeur juridique pourrait être reconnue ultérieurement.

B) Les perspectives d’évolution du cadre juridique

L’U.S. Copyright Office reconnaît que ses conclusions dépendent de l’état actuel de la technologie et que de nouvelles avancées pourraient modifier les conditions de protection par copyright des contenus générés par IA. En évaluant objectivement les capacités actuelles des outils d’IA, qui offrent aujourd’hui un contrôle limité à l’utilisateur sur le résultat final, l’Office adopte une approche factuelle transposable dans d’autres systèmes juridiques, dont la France.

Contrairement aux principes juridiques qui varient selon les pays, l’évaluation des capacités technologiques d’une IA reste identique quelle que soit la juridiction. Les autorités françaises pourraient donc logiquement parvenir aux mêmes conclusions que leurs homologues américains,  par constat technique partagé. Cette prise de position relative à un argument technologique souligne l’importance d’une veille continue : les futures générations d’outils d’IA générative pouvant modifier substantiellement l’équilibre entre contrôle humain et autonomie artificielle et ainsi leur éligibilité à une protection.

Betty Jeulin
Avocate à la Cour