Hier : des débuts difficiles
Depuis la démocratisation de l’informatique, les efforts conséquents déployés pour fluidifier l’interface entre l’Homme et la Machine se sont opérés au détriment de l’humain qui a dû apprendre à manier souris, écrans et autres langages de programmations. En 2016, l’arrivée des chatbots (« agents conversationnels »), présentés comme des machines communiquant en langage naturel et capables de fournir des réponses fiables et personnalisées, a fait naître de vifs espoirs, notamment chez les responsables RH qui y ont vu une opportunité d’automatiser certaines tâches fastidieuses, telles que la consultation du solde de congés ou l’accès aux informations présentes sur les intranets.
L’engouement a vite laissé place à la déception : les conversations étaient laborieuses, nécessitant de nombreuses reformulations pour faire face aux réponses inadéquates. Les chatbots ont également été victimes de leur image : présentés comme des agents humains augmentés, les utilisateurs anticipaient un niveau de service supérieur à leurs capacités d’alors. La frustration avait conduit à une perte de confiance puis à un désintérêt pour cette technologie alors naissante.
Aujourd’hui : le retour en force
Les avancées dans le domaine de l’IA rebattent les cartes de déploiement des chatbots. ChatGPT, par certains aspects, concurrence directement Google puisqu’un prompt permet d’accéder à une information synthétisée et sourcée sans utilisation de moteur de recherche. La rapidité avec laquelle la firme dirigée par Sundar Pichai avait développé son propre modèle, Gemini (anciennement Bard), illustre l’importance du sujet. Les éditeurs de logiciels ont aujourd’hui parfaitement saisi l’immense potentiel de ces agents modernes dans leur expérience utilisateurs et la technologie est maintenant embarquée dans toutes les suites : Joule (SAP), Einstein (Salesforce), Workday Assistant (Workday), Copilot (Microsoft) et Now Assist (ServiceNow) ne sont que quelques exemples.
Et le champ d’action s’est considérablement élargi. Les chatbots ne se contentent plus de fournir des informations, ils effectuent des tâches à la place de l’utilisateur. Si le chatbot d’une solution HCM (gestion de capital humain) pouvait hier renseigner un recruteur sur la liste des postes ouverts sur une localisation donnée, il ouvre aujourd’hui le poste à la place du recruteur (mais toujours à sa demande). Une interaction avec un chatbot permet maintenant de planifier des entretiens, proposer des comptes-rendus, notifier les parties prenantes des actions à réaliser…
Demain : l’hégémonie
Les chatbots vont radicalement transformer notre manière d’interagir avec les outils informatiques et il faudra repenser toutes les interfaces utilisateurs. Un scénario voit l’émergence d’un chatbot unique, capable d’accéder à n’importe quelle donnée, d’effectuer n’importe quelle action, au sein de n’importe quelle application de l’écosystème de l’entreprise. En somme, un chatbot omnipotent. Reste que les contraintes techniques rendent ce scénario improbable, conduisant le chatbot à traiter de nombreux sujets de façon superficielle (cf. des chatbots généralistes tel que ChatGPT) ou moins de sujets mais plus en profondeur (cf. des chatbots spécialistes des solutions HCM).
Un scénario alternatif mise sur la démultiplication des interactions entre les chatbots spécialistes. Chaque agent, entrainé sur son champ d’application, sera ainsi capable de faire appel à un homologue qui fera de même sur son propre périmètre, le tout formant un écosystème avec des actions humaines réduites à leur minimum. Cette tendance est déjà amorcée, en témoigne le partenariat Salesforce x Workday annoncé en juillet. Demain, un directeur commercial demandera, par exemple, à son agent conversationnel « Pour chaque membre de mon équipe, liste le total des ventes de l’année, le salaire fixe, l’ancienneté dans la société et identifie des corrélations ».
Ce second scénario soulève la question des modes d’interaction entre agents, à l’image du modèle maitre-esclave répandu dans la gestion de données. Seront-ils à double-sens ou l’avenir verra-t-il émergence de chatbots orchestrateurs, qui seuls auront le privilège de faire appel à leurs homologues ? La prédominance du service de messagerie professionnelle instantanée Teams (canal direct et durable avec les collaborateurs) impose l’agent Microsoft Copilot comme candidat « orchestrateur » sérieux, ce qui lance la bataille pour la conservation du lien entre applications et utilisateurs…