« IA vs RH » par Sia : L’IA ou le changement de paradigme du recrutement


« IA vs RH » par Sia : L’IA ou le changement de paradigme du recrutement
Chaque mois, les experts RH & Transformation du cabinet de conseil Sia (ex-Sia Partners) décryptent pour Liaisons Sociales la révolution IA et ses impacts sur les ressources humaines. Dans cette nouvelle chronique, Cyril Cuënot et Perrine Doebelin, respectivement senior associé et consultante, reviennent sur la manière dont l’IA révolutionne, tant pour les DRH que les candidats, les recrutements et obligent les acteurs du secteur à revoir leurs process de sélection et d’analyse pour continuer à embaucher les talents dont ils ont besoin.

L’intelligence artificielle (IA) n’est pas une menace pour le secteur du recrutement, mais plutôt un puissant accélérateur de transformation. Alors que certains craignent une déshumanisation des processus ou de se retrouver noyé sous une montagne de candidatures parfaites et uniformes, l’IA offre en réalité des outils pour un tri intelligent, une équité accrue et une expérience candidat améliorée. Elle bouscule les méthodes traditionnelles des entreprises mais, surtout, libère du temps pour ce qui compte vraiment : la rencontre, l’évaluation et l’accompagnement des talents. La question n’est en fait plus de savoir si l’IA doit être intégrée dans les process de recrutement mais comment…

Selon une récente étude réalisée par France Travail, 77 % des demandeurs d’emploi affirment avoir déjà utilisé l’IA pour optimiser leurs recherches, quel que soit leur niveau d’éducation. Pour les entreprises, il est donc impératif de ne pas rater le train de l’IA, sous peine de se faire dépasser par des candidats de plus en plus « augmentés ».

Des recruteurs et candidats « augmentés »

Et pour cause ! Si l’IA permet aux candidats de postuler plus facilement, elle offre aux recruteurs des outils puissants pour trier et analyser les candidatures avec une précision inédite. Les systèmes de suivi des candidatures (ATS) intégrant l’IA filtrent les candidatures sur des critères objectifs, réduisant ainsi la charge administrative et recentrant le recruteur sur le contact et la relation humaine. Par exemple, l’IA peut détecter des soft skills ou des parcours atypiques que le tri manuel aurait écartés.

Des initiatives, comme celle de Naval Group qui a identifié 3 000 profils correspondant à des métiers à pourvoir en Inde, illustrent comment l’IA peut ainsi élargir le vivier de compétences bien mieux et beaucoup plus rapidement qu’un être humain.

De plus, l’IA permet d’automatiser les tâches répétitives, comme la préqualification et les réponses automatiques, libérant ainsi du temps pour des entretiens plus qualitatifs. Se plaindre du volume de candidatures reçues, comme le font certains recruteurs qui se sentent débordés et dépassés par la masse d’informations à traiter, c’est finalement regretter d’avoir trop d’opportunités. L’IA, c’est le tamis qui permet de transformer la masse en valeur.

Un changement de paradigme

Le volume croissant de candidatures impose en réalité une révision des processus de recrutement, notamment en passant d’une approche centrée sur le CV et la lettre de motivation à une méthode plus agile, axée sur l’évaluation des compétences réelles. L’IA facilite cette transition en supprimant les lourdeurs administratives souvent utilisées pour tester la motivation des candidats, et ce à un moment où, selon l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), la moitié des entreprises estiment que la lettre de motivation est désormais inutile.

Les entretiens peuvent également intervenir plus tôt dans le processus de recrutement, permettant une évaluation humaine plus rapide et qualitative. Les tests de compétences et les mises en situation, facilités par l’IA, offrent en outre une vision plus juste du potentiel des candidats. L’IA expose les faiblesses des process RH dépassés, reconnait un recruteur. Ceux qui s’accrochent à la lettre de motivation vivent dans le passé.

Des candidatures vraiment anonymisées

Mais l’intégration de l’IA dans les processus de recrutement génère d’autres avantages. L’IA favorise ainsi la diversité, en élargissant le spectre des candidatures, en cassant les biais inconscients et en donnant leur chance à des profils atypiques. La raison ? La réduction mécanique des biais liés au genre, à l’âge, à l’origine, au sexe ou autres facteurs discriminants par le déploiement d’algorithmes qui anonymisent les candidatures. On l’oublie mais l’IA est une machine, elle applique et ne juge pas un nom, une école ou un âge. Elle aide au contraire à révéler des potentiels que l’humain n’aurait jamais remarqués.

L’expérience candidat est également améliorée grâce à l’IA. Les réponses automatiques, les feedbacks personnalisés et le suivi en temps réel permettent aux postulants à un emploi de se sentir mieux considérés, même en cas de refus, et surtout d’obtenir automatiquement une réponse, quelle qu’elle soit, faisant ainsi disparaitre les absences de retour aux candidatures spontanées envoyées qui sont particulièrement désespérantes. Mieux, les chatbots des plateformes d’emploi intégrant de l’IA générative ne se contentent plus d’informer, mais effectuent des tâches complexes telles que la planification d’entretiens et la rédaction de comptes-rendus.

Une question de temps

Le véritable défi réside dans notre capacité à intégrer l’IA intelligemment dans nos pratiques RH. Les décisions finales doivent rester humaines, l’IA étant un outil d’aide, pas un juge ou une fin en soi. Les entreprises qui réussissent à tirer le meilleur parti de l’IA sont celles qui forment leurs équipes à l’utiliser avec discernement. Et là encore, ce n’est plus qu’une question de temps, 81 % des directions de ressources humaines ayant prévu d’investir prochainement dans l’IA afin d’améliorer leurs recrutements selon une récente enquête réalisée par la société AssessFirst.

Et ce sans compter le coût d’un recrutement raté, communément estimé selon le niveau d’embauche et le profil retenu, entre 15 000 € et 150 000 €, soit bien plus que l’intégration d’une solution IA dans ses process d’embauche. Malgré ses limites nombreuses, l’IA représente donc clairement une opportunité à ne pas négliger aussi pour les recruteurs. Les entreprises doivent s’adapter et évoluer pour rester compétitives dans un monde où les talents, pour tout un tas de raisons qui les dépassent ou sur lesquelles elles n’ont pas de prise, sont de plus en plus rares. Au final, l’IA n’est pas une fin en soi, mais un moyen de révéler et d’accompagner les talents de demain.

Cyril Cuënot
Senior associé, RH & Transformation du cabinet de conseil SIA
Perrine Doebelin
Consultante, RH & Transformation du cabinet de conseil SIA