IA & Protection intellectuelle : à qui appartiennent les œuvres générées par l’IA ?


IA & Protection intellectuelle : à qui appartiennent les œuvres générées par l’IA ?
Une œuvre (photo, composition musicale, roman), créée par une IA peut-elle se voir reconnaitre un statut et être ainsi protégée des copies non autorisées ou contrefaçons ?

Au nombre des questions que pose l’IA dans le champ de la propriété intellectuelle revient souvent celle des « inputs » ou données initiales ingérées par la machine, de manière autonome (data mining, data scraping) ou supervisée. Les données dites d’entraînement permettent ensuite à l’IA générative de proposer un résultat reproduisant les capacités créatives de l’homme. Certains auteurs et propriétaires de contenu se sont insurgés sur l’utilisation non autorisée de ces données par les systèmes apprenants, ce qui a donné lieu à des actions judiciaires aux États-Unis.

De l’autre côté du tunnel, la question du statut des œuvres créés par l’IA se pose également. Peuvent-elles être protégeables ? Et donner lieu à des droits d’auteur ?

Pour être protégée, une création doit être reconnue comme originale

« Pour qu’une création générée par l’IA soit protégeable en tant qu’œuvre de l’esprit en droit d’auteur français, et de manière plus générale au niveau européen compte tenu du cadre harmonisé en place, elle doit être matérialisée par une forme et être considérée comme originale », commente Maître Étienne Nicolet, , spécialisé dans les problématiques de propriété intellectuelle au sein du cabinet d’avocats Advant Altana.

Qu’entend-on par œuvre de l’esprit ? « C’est une notion très large, il n’y a pas de genre ou de forme d’expression requis. Par exemple, une poêle ou un boulon peuvent-être considérés comme tels », décrypte Maître Tommaso Stella, avocat associé chez Lien avocats.

Ce que l’on appelle « œuvre de l’esprit en droit ou création intellectuelle, est propre à son auteur lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci, ainsi qu’il résulte du dix-septième considérant de la directive 93/98. ». Soit une création intellectuelle à la fois formalisée et originale, qui donne à son auteur « du seul fait de sa création », un « droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous » sur cette œuvre (Article L111-1 du Code de la Propriété intellectuelle), sans dépôt ni formalité préalable.

Le caractère original est donc la base du droit d’auteur. « Définir un caractère original, c’est reconnaître dans une œuvre l’empreinte de la personnalité de son auteur, ses choix libres et créatifs. Pour une photographie, ce seront, par exemple, des choix comme le cadrage, l’exposition, la pose du  modèle, les retouches », complète encore Étienne Nicolet. « Des choix libres et créatifs, ce sont par exemple des choix qui ne sont pas imposés par la nature de l’objet ou son caractère fonctionnel. Par exemple le fait de mettre quatre pieds à une table ne relève pas d’un choix libre », illustre Tommaso Stella.

Le caractère des œuvres générées par l’IA : une appréhension par le droit d’auteur incertaine

Le caractère des œuvres générées par une IA fait toujours l’objet d’un vide juridique. « A ma connaissance, la question de la protection par le droit d’auteur des œuvres générées par l’IA n’a pas encore été soumise à un tribunal en France. Ainsi, cette question continuera à animer les débats tant qu’une première décision de justice n’aura pas été rendue dans un sens ou dans l’autre. », indique Maître Nicolet.

En outre, en droit d’auteur français, le caractère original d’une œuvre est reconnu à son auteur, qui est nécessairement une personne physique. « Le principe personnaliste implique que seule une personne physique puisse être auteur d’une œuvre de l’esprit », souligne encore Maître Nicolet.  Donc l’IA seule ne peut, en théorie, se voir reconnaître le statut d’auteur.

« La notion d’originalité, même si elle a des contours assez variables, considère pour être reconnue que l’auteur est une personne humaine ! On peut rappeler à cet effet la fameuse affaire dite du selfie du singe, où le macaque qui avait réalisé un autoportrait avec l’appareil d’un photographe n’a pas pu prétendre à des droits d’auteur », complète maître Stella. Selon lui, il est peu probable que soit élargie la notion d’auteur à toute entité non humaine.

L’IA seule ne peut être considérée comme auteur, mais l’association de l’homme et de la machine ouvre le débat

Mais la question du caractère original reste posée, à partir du moment où l’humain est derrière la machine, où il échange avec elle. En étant à l’origine des instructions données, en nourrissant le système de données d’entraînement dûment sélectionnées, ou en retravaillant la création générée par l’intelligence artificielle.

« Si effectivement l’humain derrière la machine rédige des prompts précis, libres et créatifs, un tribunal saisi de la question pourrait considérer que l’œuvre en résultant est originale. On pourrait d’ailleurs faire une analogie avec le code source d’un logiciel, qui est l’un des composants protégeables du logiciel, en tant que suite d’instructions données par le développeur à la machine », indique Étienne Nicolet.

Reste la question de l’évaluation des apports respectifs de l’homme et de la machine. « Il conviendra alors de démontrer que même dans les œuvres générées par l’IA, il y a une intervention humaine substantielle, de nature à conférer une protection. La question qui se pose est où placer le curseur pour dire qu’il y a intervention humaine substantielle ? », estime Maître Stella. Il relève la décision de Li versus Liu en Chine, où l’intervention humaine a été considérée comme suffisante dans la génération d’une image créée avec le logiciel Stable Diffusion, puisque l’auteur n’ayant pas accepté les premiers résultats de la machine a multiplié les itérations avec l’outil pour aboutir au résultat escompté.

Toutefois, il reste difficile de parler de choix créatifs libres, dans le sens où les contenus générés par l’IA restent imprévisibles et peuvent différer sur la base d’un léger changement de formulation ou de temporalité. Pour Maître Stella, légiférer ou non relève d’un choix « politique », puisque d’autres expressions artistiques restent également non prévisibles, comme celles recourant à la technique des jets de peinture.

De plus, la question se complexifie encore par la nature même de certains systèmes d’IA, solution continuellement apprenante, des requêtes et réponses successives. « Si la machine est à disposition de plusieurs utilisateurs, s’enrichit de différents prompts, à quel moment peut-on considérer que le contenu généré est uniquement le fruit d’une démarche personnelle ? », soulève Maitre Nicolet.

Traiter ou non la question des œuvres générées par IA est donc un choix politique qui nécessite au préalable de bien comprendre préalablement son mode de fonctionnement. En septembre 2023 une proposition de loi « visant à encadrer l’IA par le droit d’auteur » a été déposée, sans répondre sur le fond à la question de la propriété des droits d’auteurs. Elle n’a pas fait encore l’objet d’examen.

Marine Landau
Journaliste