Quel a été le cheminement de votre parcours qui vous a conduit à vous interroger sur lʼimpact de lʼinnovation dans le domaine juridique ?
Jʼai très vite été confrontée aux problématiques liées à notre métier. Déjà à la faculté de droit, on constatait bien le décalage entre la formation théorique quʼon recevait et les attentes concrètes des recruteurs. Cʼest ce qui nous a dʼailleurs poussées à créer La Law Box en 2018 : pour aider les étudiants à développer des compétences utiles sur le terrain.
Puis, en tant que directrice juridique et innovation, j’ai réalisé que les problématiques étaient bien plus ancrées. Ce nʼest pas seulement une question d’outils ou de formation, mais de posture : à qui s’adresse-t-on ? Pour quel usage ? Comment s’assurer que le droit joue réellement son rôle ?
Mais souvent, face à une problématique, le premier réflexe est de chercher une solution technologique.
On pense quʼun outil suffira à régler le problème. Or, la vraie transformation passe par la façon dont on conçoit les documents, les parcours, les projets. Et surtout par la manière dont on implique les équipes. Tant quʼon ne prend pas en compte les usages, les contraintes, le terrain… le changement reste superficiel.
Cʼest exactement ce quʼon observe aujourdʼhui avec lʼIA.
Dans nos formations, on le rappelle souvent : pour que lʼIA soit utile, encore faut-il que les données soient claires, bien structurées, compréhensibles. Et cʼest la même chose pour le juridique.
Prenons un contrat : ce nʼest pas juste un document juridique. Cʼest la traduction dʼune relation, dʼun cadre dʼengagement. Sʼil est trop flou, trop long ou trop technique, il perd sa fonction première : être compris et respecté. Un contrat, cʼest comme un produit. Il doit être conçu pour être utilisé.
Cette vision a donné naissance à Imagine : une structure qui questionne les usages, les codes du droit, et replace lʼhumain, la culture dʼentreprise et le numérique responsable au cœur de la transformation.
En quoi lʼapproche humaine portée par Imagine Legal Innovation contribue-t-elle à transformer les entreprises et à repenser leurs problématiques ?
On part toujours de ce principe : un projet réussi, cʼest un projet compris, partagé, et utilisé. Et pour que ce soit possible, il faut replacer lʼhumain au cœur de la démarche. Cela commence par lʼécoute : comprendre les freins, les contraintes, les habitudes, etc.
Une transformation juridique ne peut pas être imposée dʼen haut ou être pilotée uniquement par un service. Elle doit embarquer les équipes terrain, les directions métiers, les utilisateurs finaux.
Notre rôle, cʼest dʼaider les organisations à ne plus penser leurs problématiques juridiques en silo, mais en parcours. Chaque document, chaque processus est un point de contact avec lʼutilisateur (quʼil soit client, collaborateur ou partenaire). Et cʼest souvent à ces points de contact que les choses coincent : incompréhensions, lenteurs, frictions. En repensant ces points de friction, on ne travaille pas seulement sur la forme. On crée surtout une culture de la clarté et de la collaboration.
Par exemple, dans le cadre dʼune refonte de contrat, on va co-construire avec les équipes juridique, marketing, relation client, etc. On va tester la compréhension réelle du document, identifier les zones dʼambiguïté, intégrer les retours terrain. Et on les transforme en outils simples, actionnables, conformes et efficaces.
Cʼest aussi ça, notre approche humaine : ne pas chercher la perfection théorique, mais lʼefficacité concrète pour un changement durable.
Ensuite, la méthode est adaptée à la culture dʼentreprise. Chaque outil est défini en fonction de la réalité de chaque organisation (son secteur dʼactivité, ses priorités, sa communication, etc). On prend donc en compte le contexte pour adapter la solution qui sera déployée. Par exemple, dans les projets liés à lʼIA, on intègre des séquences spécifiques de conduite du changement : acculturation des équipes, définition claire du périmètre, clarification des responsabilités. Ce travail de fond est indispensable pour garantir lʼappropriation et éviter lʼeffet gadget.
Enfin, on sʼassure que les données sont exploitables, lisibles et bien structurées. Cʼest ce qui permet une innovation éthique, utile (et pas juste un effet de mode). Cʼest dʼailleurs un sujet sur lequel on travaille depuis plus de 8 ans : structuration de lʼinformation, lisibilité des documents, fiabilité des données. Aujourdʼhui, on voit à quel point cette base est déterminante pour le succès des projets impliquant lʼintelligence artificielle.
Pour conclure, notre mission est dʼaider les organisations à intégrer la contrainte juridique sans la subir.
Quels leviers le Legal Design vous offre-t-il pour incarner une nouvelle approche des services juridiques centrée sur lʼhumain ?
Le Legal Design, cʼest un changement de posture. Il invite à penser le droit comme un service, non comme un savoir figé à transmettre.
Il offre donc plusieurs leviers puissants :
- Repartir des usages réels
On conçoit un document, un produit à partir de lʼexpérience utilisateur : Quand est-il utilisé ? Par qui ? Avec quelles contraintes juridiques, cognitives, émotionnelles ou techniques ?
Cette approche permet dʼéviter les documents trop longs ou illisibles, même sʼils sont “juridiquement conformesˮ.
- Traduire lʼintention, pas seulement la règle
Lʼobjectif nʼest pas seulement que le lecteur voit lʼinformation, mais quʼil la comprenne et puisse lʼutiliser.
Cela implique de : rédiger dans un langage compréhensible (conformément à la norme ISO 24495-2 sur le langage juridique clair), contextualiser les informations importantes, expliciter les conséquences concrètes dʼun engagement ou dʼune règle, hiérarchiser les contenus pour quʼils soient assimilables rapidement.
- Travailler avec les équipes terrain
Nous intégrons toujours les métiers dans le processus. Un contrat, une notice ou un process nʼest utile que sʼil est compréhensible et utilisable par celles et ceux qui sʼen servent.
- Installer une culture de clarté
En formant les équipes à cette approche, on ne transforme pas uniquement des documents. On installe un nouveau réflexe organisationnel :
“Ce que je rédige est-il compréhensible ? Le produit ou service juridique que je propose est-il fluide, utile, adapté aux besoins des utilisateurs finaux ?ˮ
Cʼest cette collaboration qui transforme peu à peu le juridique en ressource active, et non plus en simple contrainte.
Selon vous, de quelle manière lʼinnovation redéfinit-elle les pratiques juridiques ? Lors de votre parcours, avez-vous découvert des cas concrets ?
Lʼinnovation ne redéfinit pas seulement les outils du droit. Elle redéfinit le rôle même du juriste. On passe dʼune posture dʼexpert technique à un rôle de facilitateur.
Cʼest un changement culturel qui pousse à sortir du texte pour penser en parcours, en expérience, en usages.
Concrètement, on lʼa vu chez plusieurs clients comme MAIF VIE avec qui on travaille sur des documents réglementaires complexes.
En travaillant avec les directions juridiques, produit, communication et techniques, on a montré que le juridique pouvait aussi : améliorer la compréhension client, réduire les sollicitations au service client, renforcer la confiance, et même devenir un levier dʼacquisition client et de différenciation.
Autre exemple : dans une mission menée avec un grand groupe, nous avons redéfini le processus de contractualisation avec les partenaires commerciaux.
Résultat ? Moins dʼallers-retours, une meilleure appropriation terrain, et une réduction significative des délais de signature.
Quelles actions concrètes mettez-vous en œuvre pour mettre en place un numérique responsable ?
Un numérique responsable, ce nʼest pas quʼune question dʼoutils ou de bilan carbone. Cʼest aussi une question de sens, dʼusage et dʼinclusion.
Chez Imagine Legal, on agit sur plusieurs plans très concrets :
- Lʼaccessibilité numérique
Nous accompagnons nos clients (notamment assureurs et acteurs publics) pour rendre leurs documents accessibles à toutes et tous, selon les critères du RGAA (Référentiel Général dʼAmélioration de lʼAccessibilité).
Cela implique :
- des textes structurés, lisibles, compréhensibles,
- des formats adaptés aux lecteurs dʼécran,
- une attention particulière aux parcours utilisateurs en situation de handicap.
Cʼest ce quʼon a fait auprès de notre client MAIF où la notice dʼinformation du contrat Assurance Vie Responsable et Solidaire a été rendue conforme à la norme RGAA.
- Lʼéthique by design
Nous intégrons systématiquement une réflexion sur les biais algorithmiques, la qualité des données et la transparence des traitements.
Cʼest particulièrement important dans nos missions en lien avec lʼIA : former les équipes à poser les bonnes questions, documenter les cas dʼusage, concevoir des prompts responsables et des interfaces explicables.
- La sobriété fonctionnelle
Nous ne recommandons pas une solution tech parce quʼelle est tendance. On analyse dʼabord les besoins réels, les contraintes internes (budgétaires, humaines, techniques), et on propose des solutions proportionnées.
Les interfaces sont conçues pour être utiles (et pas uniquement “joliesˮ).
Un bon design, cʼest un design qui sert lʼusage, qui facilite lʼaccès à lʼinformation, et qui réduit son empreinte numérique.
Cʼest lʼapproche que nous avons adoptée pour notre site Imagine.
- Lʼacculturation et la formation
Nous formons les juristes, les équipes produit, les RH à travailler avec les outils sans les subir.
Comprendre les limites de lʼIA, savoir challenger un fournisseur tech, poser un cadre juridique clair… Ce sont des compétences-clés quʼon développe dans toutes nos interventions.