DSA et article 6-3 LCEN : continuité des principes, proportionnalité des mesures


DSA et article 6-3 LCEN : continuité des principes, proportionnalité des mesures
Le Digital Services Act (DSA) ne rompt pas avec les principes antérieurs. Entré pleinement en application le 17 février 2024, il actualise le régime européen applicable aux intermédiaires, sans remettre en cause l’architecture issue de la directive « e commerce » et de sa transposition par la LCEN.

Deux axes restent déterminants. D’une part, il n’existe pas d’obligation de contrôle généralisé des contenus par les hébergeurs, qui ne sont ni outillés ni habilités à vérifier en amont la licéité des publications (art. 8 DSA). D’autre part, la responsabilité de l’hébergeur ne peut être engagée qu’en cas de connaissance effective d’un contenu illicite suivie d’une abstention à agir (art. 6 DSA).

Les premières décisions rendues depuis l’entrée en vigueur du DSA confirment que le juge français n’entend pas transformer les plateformes en évaluateurs de la licéité des contenus. Cette continuité se lit notamment à travers le maintien opérationnel du critère de l’« illicéité manifeste ».

Certes, le DSA ne reprend pas textuellement la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel en 2004 selon laquelle la responsabilité de l’hébergeur suppose un contenu manifestement illicite ou l’inexécution d’un ordre judiciaire (Conseil constitutionnel, déc. n° 2004‑496 DC, 10 juin 2004). Mais le critère ressurgit en jurisprudence, à la faveur d’un contrôle juridictionnel exigeant de la preuve et de la proportionnalité.

En pratique, une simple affirmation d’illicéité ne suffit pas. En l’absence de contradictoire avec l’auteur, seules des dérives manifestes de la liberté d’expression peuvent justifier un retrait, un déréférencement ou une désactivation.

Une proportionnalité réaffirmée

Une décision récente du Tribunal judiciaire de Paris rendue sur le fondement de l’article 6‑3 LCEN réaffirme cette exigence de proportionnalité (TJ Paris, 5 septembre 2025, n°25/52399). Saisie sur le fondement de l’article 6-3 LCEN d’une demande de retrait d’une vidéo relatant l’expérience négative d’une consommatrice dans un institut, la juridiction rappelle que le dépôt d’une plainte pénale ne constitue pas la preuve de l’infraction alléguée et ne suffit pas à établir l’illicéité du contenu. Le propos, jugé mesuré et circonscrit à une opinion personnelle sur une expérience vécue, n’emportait ni dénigrement fautif ni abus de la liberté d’expression. Dans ce contexte, l’atteinte n’étant ni démontrée ni manifestement illicite, aucune mesure de retrait ne s’imposait.

La décision confirme une grille de lecture désormais stable : sans abus manifeste, la liberté d’expression prime et aucune suppression n’est ordonnée. En pratique, un double mouvement s’impose : d’abord, un filtrage par l’évidence de l’illicéité lorsque l’auteur n’est pas au contradictoire, afin d’éviter qu’un débat de fond soit tranché sans les garanties utiles ; ensuite, un contrôle de proportionnalité, qui commande des mesures strictement ciblées et nécessaires au regard d’un dommage avéré ou imminent.

La maîtrise de la qualification

Le Tribunal judiciaire de Lille prolonge ce raisonnement dans une affaire opposant un dirigeant à un site d’information spécialisé, également portée sur le terrain de l’article 6-3 LCEN (TJ Lille, 7 octobre 2025, n° 25/01290). Soulignant qu’en l’absence de l’auteur du contenu au contradictoire le juge ne peut trancher le fond, la juridiction rappelle que seules des atteintes manifestes, établies et proportionnées au dommage, peuvent justifier une intervention sur les contenus.

Surtout, elle opère une requalification déterminante au regard de la loi de 1881 sur la liberté de la presse : des griefs initialement articulés en dénigrement, atteinte à la vie privée ou harcèlement relèvent, à l’examen, de la diffamation (Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). La prescription propre au droit de la presse fait alors obstacle à l’usage de la LCEN pour obtenir indirectement la suppression de contenus dès lors que l’action principale en diffamation est éteinte.

Là encore, le juge évite les détournements et respecte l’économie des textes spéciaux. Cette maîtrise de la qualification s’articule avec une stricte hiérarchie des régimes : la LCEN ne peut servir de vecteur pour contourner les règles de la loi du 29 juillet 1881, notamment sa prescription, et renvoie le demandeur, le cas échéant, à engager l’action de presse appropriée.

Le refus de la voie indemnitaire

Cette cohérence s’accompagne d’un rappel procédural sur le périmètre de l’article 6‑3 LCEN. Ce mécanisme ouvre une procédure accélérée au fond permettant au président du tribunal judiciaire de prescrire « toutes mesures propres à prévenir ou faire cesser un dommage » causé par un contenu illicite en ligne. Il ne s’agit pas d’une voie indemnitaire.

Le Tribunal judiciaire de Paris le confirme nettement en jugeant irrecevables, dans le cadre d’une saisine article 6-3, les demandes fondées sur les articles 145 et 835 du Code de procédure civile (TJ Paris, 10 octobre 2025, n°25/52961). La procédure accélérée au fond ne permet pas au juge d’ordonner des mesures probatoires ou provisionnelles étrangères à l’objet de la LCEN. En d’autres termes, l’article 6-3 vise l’édiction de mesures de cessation adaptées et nécessaires, non l’allocation de dommages-intérêts ni la constitution d’un dossier probatoire à d’autres fins.

Conclusion

Si le DSA enrichit l’outillage procédural et la transparence des plateformes, il n’a pas effacé les lignes directrices du contentieux des contenus.

La liberté demeure la règle et la censure l’exception ; l’évidence de l’illicéité reste le seuil ; l’article 6-3 de la LCEN est une procédure de cessation, non de réparation. L’assignation des intermédiaires techniques ne dispense ni de la démonstration probatoire de l’illicéité manifestement caractérisée, ni du respect des voies et délais propres aux infractions de presse. À défaut, l’action se heurte à un double verrou, substantiel et procédural, dont les juridictions rappellent avec constance la finalité et la portée.

Caroline Lyannaz
Partner en IP/IT & Data Privacy chez Eversheds Sutherland