Derrière la promesse de productivité, quels sont réellement les gains associés à l’IA ?


Derrière la promesse de productivité, quels sont réellement les gains associés à l’IA ?
Automatiser, standardiser et libérer les avocats des tâches chronophages. La promesse des gains liés à l’IA par ceux dont c’est le métier de la déployer est dithyrambique. Jusqu’à 60% de gains de productivité, c’est l’estimation qui ressort du recours à l’IA par les métiers d’inspiration libérale (avocats, experts comptables). C’est en tout cas l’analyse par le cabinet Liberall Conseil, fondé par Valentin Tonti-Bernard.

Evaluer process, tâches et cas d’usage

« Pour pouvoir identifier les gains, il est nécessaire d’évaluer d’abord les process à transformer », souligne l’entrepreneur. Pour y arriver, il préconise une démarche basée sur l’étude des fiches de temps de toutes les forces vives du cabinet : stagiaires, collaborateurs, managers, conseils, partners. L’idée est d’évaluer les temps qui peuvent faire l’objet d’une amélioration de process ou d’une standardisation, voire d’une automatisation.

« Il y a plusieurs catégorisations de temps possibles dans un cabinet, rappelle Valentin Tonti-Bernard. Parmi celles-ci les temps clients, qui se divisent en temps facturables (temps passés avec le client, temps passés en stratégie, en rédaction des actes contractuels, des argumentaires…etc) et ceux qui sont non-facturables »

En fonction de l’affectation de temps des différentes équipes, un travail sur Excel permettra de modéliser les gains de productivité associés. Et de là, identifier la pertinence d’une intervention. « Le déploiement d’une démarche IA n’est retenu que si la productivité dégagée est trois fois supérieure au coût de la prestation ». Le déploiement sera ensuite effectué temps par temps, en fonction des priorités. L’IA assistera ou remplacera alors certaines des tâches précédemment effectuées par l’avocat, le paralégal ou les fonction support.

L’IA permet de reconfigurer l’allocation des temps

De manière générale, l’idée n’est pas que l’IA fasse à la place de, mais bien qu’elle reconfigure l’allocation des temps. « La vraie productivité n’est pas la vitesse brute à laquelle un avocat rédige ou la génération instantanée de conclusions, c’est la réorientation du temps vers ce qui fait la valeur de l’avocat, voire vers d’autres activités. », confirme Maitre Abel Sabeur, avocat et expert en legal techs. Pour Vincent Le Faucheur, dirigeant d’Optima Strategies, spécialiste du droit social, l’IA a permis de traiter rapidement des demandes client qui appelaient des réponses quasi-identiques. « C’est même bien davantage qu’une automatisation. L’IA permet à partir d’un modèle d’établir la rédaction en tenant compte des éléments factuels spécifiques au contexte client ».

Pour Bruno Lussato, fondateur d’un cabinet et formateur en IA générative, qui accompagne de nombreux cabinets dans leur transformation IA, les tâches automatisables grâce à l’IA sont assez analogues d’un cabinet à l’autre. « On a l’habitude de travailler dans des professions réglementées et les tâches répétitives sont souvent les mêmes. Mais chaque cabinet a ses propres processus ce qui nécessitera une approche sur mesure. Il n’y a pas un livrable qui sera identique ».

Dans certains cabinets, l’entrepreneur annonce dégager 60% de gains de productivité. Comment calculer de manier scientifique les gains ? Pour l’avocat Abel Sabeur, l’estimation des gains se découpent en deux séquences. Celle liée au volume, détaillée en heures gagnées = (temps avant IA – temps après IA) × volume, tandis que l’estimation monétaire est obtenue en multipliant les heures gagnées par leur valeur horaire, id est le temps facturable. Pour d’autres cabinets, les indicateurs à privilégier peuvent être le temps moyen par dossier ou le nombre d’heures facturables. Ou encore d’un point de vue qualitatif, le taux d’acceptation des arguments principaux.

De 60 à 70% de gains de productivité sur certaines tâches

Avec une IA interne, Abel Sabeur procède à l’ingestion des pièces, à leur dédoublonnage, à leur classement. Il obtient une synthèse et extrait les points litigieux. Puis lance des requêtes et fiabilise une synthèse avec Doctrine. Les ordres de grandeur des gains de productivité peuvent être détaillés ainsi: pour l’ analyse de pièces de 200 à 300 pages, le temps est réduit de 6 heures à 1h15, soit un gain de près de 70%.  Une recherche ciblée via une base de données d’un éditeur juridique ne prend plus que 20 à 30 minutes, contre 2 heures auparavant.

Toutefois, l’IA n’est pas une baguette magique selon l’entrepreneur Valentin Tonti-Bernard. « Les gains de productivité ne sont jamais liés qu’à l’IA. Généralement quand les temps de traitement d’une tâche sont vraiment longs, c’est davantage une question de process, d’absence de délégation, d’absence d’automatisation que de manque de recours à l’IA ». Une analyse à laquelle ne souscrit pas le fondateur d’Eliosor IA, Bruno Lussato. « Ce qui est vraiment disruptif c’est ce qui est attribuable à l’IA, en revanche mettre en place toutes les automatisations via l’IA peut engendrer des réorganisations, des changements de process. »

De l’usage de l’IA pour les tâches à haute valeur ajoutée

Parmi les cas d’usage ou les exemples utiles, on peut citer l’injection dans le logiciel métier de toutes les pièces du dossier sans intervention humaine. « On peut paramétrer une IA pour faire une simulation de stratégie contentieuse. On peut demander à une IA quel est le type de stratégie procédurale applicable, quel est l’intérêt d’une fin de non-recevoir, quelle serait l’opportunité d’un référé », complète Bruno Lussato. Vincent le Faucheur reconnaît que pour leur cabinet le cas d’usage le plus pertinent est celui permettant le « legal design » ,c’est-à-dire la reformulation des rédactions juridiques à l’égard des clients pour les rendre plus compréhensibles. « L’IA nous a permis d’améliorer notre capacité à parler un langage clair, compréhensible. » Bref, le champ des possibles est vaste.

D’autant que si le recours à l’IA pour les tâches à faible valeur ajoutée est largement documenté, il est moins évident pour des tâches à haute valeur ajoutée, « alors que dans ce cas, l’IA peut jouer le rôle de véritable sparring partner », complète Bruno Lussato. Par exemple pour déceler une faille dans un argumentaire juridique. Chez Optima avocats, on déclare jusqu’à une journée de travail gagné par semaine. Mais aussi une augmentation de 28% du chiffre d’affaires sans embauche supplémentaire. Des chiffres qui donnent le tournis pour ceux qui voudront se saisir des opportunités.

« L’IA dans nos solutions » https://boutique.lamy-liaisons.fr/solutions/ia.html

Marine Landau
Journaliste