L'impact de l'intelligence artificielle générative sur les droits d'auteur et la protection des créations


L'impact de l'intelligence artificielle générative sur les droits d'auteur et la protection des créations
L’essor exponentiel des intelligences artificielles génératives bouscule les fondements du droit d’auteur. Entre vide jurisprudentiel, législation lacunaire et enjeux économiques majeurs, le cadre juridique peine à suivre le rythme de l’innovation. Décryptage des principales questions soulevées par ces technologies.

Le cadre légal actuel

Aujourd’hui, les IA génératives (ChatGPT, Midjourney, DALL·E, etc.) se sont rapidement imposées dans le monde entier, devenant en quelques mois des outils incontournables du quotidien, tant dans la sphère personnelle que professionnelle.

Ce bouleversement soulève de nombreuses questions juridiques, notamment en droit d’auteur : à qui appartiennent les droits sur les œuvres générées par l’IA ? Sont-elles protégeables ? L’usage massif d’œuvres existantes pour entraîner ces systèmes n’est-il pas susceptible de constituer une contrefaçon ?

À ce jour, plusieurs textes encadrent ces pratiques, mais leur portée reste partielle ou incertaine, et de nombreuses zones d’ombre demeurent, en l’absence de jurisprudence française sur le sujet.

  • L’AI Act : socle de la réglementation européenne sur l’intelligence artificielle

L’AI Act (règlement européen n°2024/1689) entré en vigueur le 1er août 2024, a pour objet de promouvoir l’adoption d’une intelligence artificielle axée sur l’humain et digne de confiance, garantissant un niveau élevé de protection de la santé, de la sécurité et des droits fondamentaux.

Ce règlement n’a pas pour objectif principal de protéger les droits d’auteur ou la création, et ne comporte qu’une seule disposition en la matière (article 53). Celle-ci impose aux fournisseurs de modèles d’IA à usage général d’adopter une politique conforme au droit de l’Union en matière de droit d’auteur et de droits voisins, et de pouvoir identifier et respecter les réserves de droits exprimées par les auteurs (« opt-out ») conformément à l’article 4, paragraphe 3, de la directive (UE) 2019/790.

  • La directive droit d’auteur et ses limites face aux usages automatisés

L’article en question concerne le droit des auteurs de s’opposer à l’utilisation de leurs œuvres par les IA dans le cadre des fouilles de données.

Ces « fouilles », ou text and data mining (TDM), consistent pour les IA à analyser automatiquement des milliers de données — dont des œuvres protégeables par le droit d’auteur comme des livres, chansons, articles ou créations visuelles — afin d’apprendre à reconnaître des styles, des motifs ou des idées. Cette phase d’apprentissage leur permet ensuite notamment de s’inspirer de ces contenus, voire de générer de nouvelles créations.

En droit français, c’est l’article L122-5-3 III du Code de la propriété intellectuelle — issu de la directive (UE) 2019/790 et transposé par l’ordonnance n° 2021-1518 du 24 novembre 2021 — qui consacre le droit d’opposition des auteurs, également appelé « opt-out ». Ce droit doit être exercé, pour les contenus mis en ligne, « notamment au moyen de procédés lisibles par machine ».

Cependant, la mise en œuvre concrète de ce droit d’opposition demeure complexe et soulève de nombreuses interrogations, encore non tranchées par la jurisprudence.

Les principaux enjeux juridiques pour les auteurs

  • Licéité de la fouille de données au regard du droit d’auteur

La première difficulté pratique est de déterminer par quel moyen technique un opt-out peut être juridiquement valable.

À ce titre, plusieurs organismes de gestion collective (SACEM, SAIF, ADAGP) ont annoncé avoir exercé ce droit sur l’ensemble des œuvres de leurs répertoires.

Mais un simple communiqué de presse suffit-il à interdire la fouille ? Surtout lorsque les œuvres restent librement accessibles sur d’autres bases ?

En effet, les IA ne lisent pas les déclarations : elles explorent les bases sans savoir si une œuvre est soumise à un opt-out, sauf si celui-ci est intégré techniquement (métadonnées, robots.txt, entêtes HTTP, licence, etc.). Cette opposition peut être mise en œuvre via le serveur, les pages web ou les fichiers eux-mêmes, mais sa mise en œuvre concrète reste incertaine.

La licéité de ces pratiques fait actuellement l’objet d’une action judiciaire engagée en mars 2025 devant le tribunal judiciaire de Paris par plusieurs organismes de gestion collective (SNE, SGDL, SNAC) à l’encontre de META. Ces derniers reprochent à META, sur les fondements de la contrefaçon de droits d’auteur et du parasitisme, d’avoir entraîné ses modèles d’intelligence artificielle à partir d’une base de données contenant le texte intégral d’environ 200 000 livres, sans autorisation des ayants droit.

De plus, la licéité de la fouille de données par les IA peut également être remise en question au regard de la protection sui generis des bases de données.

En effet, le Code de la propriété intellectuelle interdit « l’extraction, par transfert permanent ou temporaire, de tout ou partie substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support » (art. L.342-1 CPI).

Or, la fouille de données implique souvent la copie temporaire de contenus issus d’une base (site, dépôt, archive) vers un support de traitement, afin d’en extraire des caractéristiques, de générer des embeddings ou d’entraîner un modèle d’IA.

Si ces pratiques devaient être qualifiées d’extractions illicites au regard du droit sui generis, elles porteraient alors atteinte aux droits du producteur de la base — indépendamment des éventuels droits d’auteur sur les œuvres contenues.

  • Protection des œuvres générées par l’IA et titularité des droits d’auteur

Le droit français ne prévoit, à ce jour, aucun cadre spécifique pour les œuvres générées par intelligence artificielle. La question de leur protection au titre du droit d’auteur, tout comme celle de l’identification du titulaire des droits — développeur, utilisateur ou IA — demeurent donc incertaines.

En l’absence de jurisprudence française, les premières décisions étrangères offrent quelques pistes. Certaines ont admis la protection d’œuvres créées avec l’aide d’une IA, à condition que l’intervention de l’utilisateur présente une originalité suffisante, sans laisser de place à l’aléa de la machine (cf. US Copyright Office, 30/01/2025 ; Chine, Lin Chen c. Hangzhou Gaosi, 18/10/2024).

Toutefois, ces décisions restent plutôt minoritaires, la plupart des autorités ayant jugé que l’apport humain n’était pas assez significatif pour justifier une protection par le droit d’auteur (cf. US Copyright Office, 21/02/2023 et 05/09/2023 ; Japan Copyright Office, mai 2024).

Cette solution paraît conforme au droit français, selon lequel la protection repose sur l’empreinte de la personnalité de l’auteur — autrement dit, sur la mise en forme de l’idée, et non sur l’idée elle-même, qui reste de libre parcours. Dès lors, si la mise en forme est le fait de la machine et non d’une personne physique, il ne peut y avoir d’auteur au sens du droit d’auteur.

Enfin, s’agissant de la titularité des droits, les décisions étrangères convergent pour l’instant vers une reconnaissance systématique des droits au profit de l’utilisateur personne physique.

Vers une taxe pour la gestion collective des droits

Les organismes de gestion collective des droits d’auteur plaident pour la création d’une taxe, sur le modèle de celle sur la copie privée.

Pour mémoire, la loi française autorise la copie privée d’œuvres protégées à des fins personnelles, en contrepartie d’une rémunération prélevée sur les supports facilitant cette copie (CD, DVD, disques durs, smartphones, box, etc.). Cette redevance est ensuite redistribuée entre auteurs, artistes et producteurs.

Un dispositif similaire pourrait s’appliquer aux usages des œuvres par les IA. Ces dernières exploitent gratuitement des milliers d’œuvres protégées, issues d’un travail créatif, pour s’entraîner et générer du contenu à la demande de leurs utilisateurs.

Ce modèle crée un déséquilibre économique au profit des développeurs d’IA et au détriment des auteurs, tout en augmentant le risque de contrefaçon : certaines productions générées reprennent des éléments caractéristiques d’œuvres existantes, souvent à l’insu des utilisateurs.

Le cas du studio Ghibli en est un exemple : son style a été absorbé par ChatGPT, donnant lieu à une multitude d’images générées dans son esthétique, sans autorisation ni rémunération des ayants droit.

Ainsi, outre l’encadrement nécessaire de ces nouveaux usages des œuvres par l’IA, des pistes de réforme sont à l’étude.

Une proposition de loi du 12 septembre 2023 (n° 1630) envisage ainsi une taxation « visant à valoriser la création au profit d’un organisme de gestion collective, lorsque des œuvres sont générées par une IA à partir de contenus d’origine incertaine ».

Dans le même esprit, la ministre de la Culture a confié au CSPLA une mission portant sur l’analyse de la portée de l’obligation de transparence prévue par le règlement européen, et la définition des informations essentielles à transmettre, selon les secteurs culturels, pour permettre aux auteurs et titulaires de droits voisins d’exercer leurs droits.

Agathe Zajdela
Avocat of counsel chez DTMV Avocats