Le défi du leadership


Le défi du leadership
A l’occasion du Forum des Éclaireurs du droit, organisé par le groupe Lamy Liaisons Karnov, le 11 mars 2025, il a été question de s’interroger sur la façon de repenser les structures de représentation à l’heure du développement de l’IA. Comment, en effet, recréer un sentiment d’appartenance à un collectif dans un monde où l’innovation technologique redéfinit les règles du leadership ?

L’intelligence artificielle (IA) transforme en profondeur les structures organisationnelles et les pratiques managériales des entreprises. Elle redéfinit les relations hiérarchiques, modifie les interactions entre managers et collaborateurs, et pose la question de l’équilibre entre leadership traditionnel et pratiques collaboratives. La dernière table ronde du Forum des Éclaireurs du droit visait à explorer dans quelle mesure l’IA remet en cause la hiérarchie, et si la création de collectifs et l’assurance du leadership étaient antinomiques à l’heure des intelligences artificielles. Elle a réuni Catherine Olive, associée et co-managing partner du cabinet Osborne Clarke, Jean-Philippe Gille, Président de l’Association française des juristes d’entreprises (AFJE) et Pierre Gattaz, PDG de Radiall, président de l’association Y Croire & Agir et président de l’Institut des Solutions.

L’IA : un catalyseur de transformation organisationnelle

L’introduction de l’IA dans les entreprises redéfinit les relations hiérarchiques en ce qu’elle favorise une horizontalisation des structures organisationnelles. Les outils numériques permettent une communication plus fluide et une collaboration accrue entre les différents niveaux hiérarchiques. Cette évolution peut atténuer les barrières traditionnelles, encourageant une culture d’entreprise plus ouverte et participative. Pour Catherine Olive, le numérique offre une opportunité de renforcer le collectif, en particulier d’intégrer les jeunes générations, tout en restant vigilants face aux défis potentiels. « Le numérique a créé un nouvel écosystème qui nous amène à fonc­tionner de manière différente. Nous avançons désormais en mode projet, en prenant position grâce à des interactions rapides sans passer par de longues itérations. Cela permet aux jeunes de prendre leur place », a -t-elle expliqué.
L’IA facilite la collecte et l’analyse de données massives, permettant aux équipes de prendre des décisions plus éclairées et collaboratives. Cette approche favorise l’intelligence collective, où les contributions de chacun sont valorisées, réduisant ainsi la dépendance à une hiérarchie centralisée. Les managers agissent davantage comme facilitateurs, guidant les équipes dans l’exploitation des outils d’IA pour atteindre les objectifs communs.

IA et leadership : une complémentarité possible

Loin de remplacer les leaders, l’IA se positionne comme un assistant puissant, fournissant des analyses prédictives et des recommandations pour éclairer les décisions stratégiques. Jean-Philippe Gille a d’ailleurs insisté sur la nécessité pour les managers d’accompagner l’intégration de l’IA, en tenant compte de la culture et des enjeux spécifiques de leur entreprise. Pour Catherine Olive, « L’IA générative aide à structurer une pensée, à synthétiser de manière totalement efficace des conversations, des documents etc…, mais elle ne remplacera pas l’avocat. Elle en fera un avocat augmenté. C’est une autre façon de réfléchir ».
Malgré les avancées technologiques, les compétences humaines telles que l’empathie, la vision stratégique et la capacité à inspirer demeurent essentielles. Pour Pierre Gattaz, qui intervenait comme éclaireur durant la conférence, un leader doit incarner une vision, motiver les équipes instaurer un climat de confiance et se doit, à ce titre, d’être lui-même exemplaire. L’IA, en automatisant les tâches répétitives, libère du temps pour que les leaders se concentrent sur ces aspects humains du management. Pierre Gattaz l’a souligné : « le leadership consiste aussi à gérer des situations humaines complexes, capter des signaux faibles, faire preuve d’intuition et de courage. Motiver, écouter, rassurer, embarquer. Or, je ne sais vraiment pas si ces dimensions profondément humaines pourront être remplacées un jour par une IA ».

Défis éthiques et culturels de l’intégration de l’IA

Dans des professions sensibles comme celles du juridique, l’utilisation de l’IA soulève des questions de confidentialité et d’éthique. Catherine Olive a mis en garde contre les risques liés à l’IA générative, notamment les « hallucinations » dans lesquelles l’IA produit des informations erronées. Il est crucial, selon l’avocate, d’établir des protocoles stricts pour garantir que l’utilisation de l’IA respecte les normes déontologiques et protège les données sensibles.
L’adoption de l’IA nécessite une gestion du changement efficace et une acculturation numérique des équipes. Catherine Olive a expliqué : « Nous disposons d’outils formidables. Si les personnes censées les utiliser n’y sont pas acculturés, cela peut être une catastrophe ». Les employés doivent être formés pour comprendre et utiliser les outils d’IA, tout en étant conscients des implications éthiques. Jean-Philippe Gille a ajouté l’importance d’une vision claire et d’une communication transparente lors de l’introduction de l’IA dans les processus d’entreprise, en pointant le fait « qu’en tant que manager et en tant que leader, la question qui se pose, c’est l’accompagnement de l’IA dans nos entreprises. ».
L’adoption de l’IA implique donc une adaptation continue des processus décisionnels. Les leaders doivent être capables de qualifier les informations fournies par l’IA et de déterminer les actions appropriées. Cette démarche implique une réflexion approfondie sur la manière d’intégrer les recommandations de l’IA dans les stratégies globales de l’entreprise, tout en tenant compte des valeurs déontologiques et culturelles de l’organisation.

L’IA au service du leadership

L’IA permet d’automatiser des processus décisionnels en analysant de vastes ensembles de données pour identifier des tendances et des anomalies. Cette automatisation libère les leaders des tâches analytiques, leur permettant de se concentrer sur des décisions stratégiques et humaines. Pierre Gattaz l’a rappelé : « l’IA va beaucoup nous aider. Son immense capacité d’analyse et de calcul en fait déjà un outil puissant d’aide à la décision. Elle pourra évaluer des scénarios, arbitrer entre différentes options et, dans certains cas, trancher plus rapidement qu’un humain ».
Les entreprises qui intègrent l’IA de manière réfléchie constatent une amélioration de l’efficacité opérationnelle et de la qualité des décisions.
Les environnements de travail modernes favorisent une collaboration étroite entre l’homme et la machine. Il revient aux managers d’orchestrer cette symbiose, en s’assurant que les outils d’IA complètent les compétences humaines et renforcent l’intelligence collective. Cette approche nécessite une vision stratégique et une capacité à gérer la transition vers des modes de travail hybrides.

Dès lors, l’intelligence artificielle ne constitue pas une menace pour le leadership traditionnel, mais plutôt une opportunité de le redéfinir et de l’enrichir. En intégrant l’IA de manière stratégique, les entreprises peuvent créer des environnements de travail plus collaboratifs, où le leadership se manifeste par la capacité à guider les équipes dans l’exploitation des technologies pour atteindre des objectifs communs. Cette transformation exige une vision claire, une gestion attentive du changement et un engagement envers des pratiques éthiques et humaines.

Sébastien Dorlencourt
Rédacteur en chef Les Cahiers du DRH - Lamy Liaisons