Faire du droit une arme concurrentielle au niveau de l’Union européenne


Faire du droit une arme concurrentielle au niveau de l’Union européenne
Dans la dernière section du rapport, les auteurs plaident pour faire de la règle du droit un atout, permettant de faciliter l’acceptabilité de l’innovation, mais aussi une arme concurrentielle face à des concurrents extérieurs qui ne respecteraient pas le cadre européen.

Pour les auteurs du rapport, convaincus que l’IA dépasse le cadre technologique pour constituer un projet de société, le droit doit – loin du seul corset normatif – se transformer en arme économique. Le droit doit faciliter la normalisation de la technologie, assurer son acceptabilité et aider à écarter les concurrents qui ne joueraient pas le jeu.

Le document distingue dans cette section deux types d’entreprises : les entreprises dites traditionnelles, plutôt en faveur d’un cadre normatif contraignant et rigide, car leur droit à l’erreur est minime, et les nouvelles entreprises du numérique en demande d’un cadre plus souple, autorisant l’erreur d’autant plus lorsqu’elle est correctible. L’AI Act serait alors un moyen d’aller vers une culture plus normative, avec un cadre plus strict. Utiliser le droit comme outil de normalisation renforcerait la qualité du produit proposé. Pour ce faire, les auteurs pointent l’attente d’une véritable infrastructure du droit pour paver le chemin, notamment pour les plus petites entreprises, moins habituées à jongler avec les contraintes.

Choisissant d’imaginer « l’existence d’un droit capable d’évoluer à la mesure des innovations qu’il encadre », le rapport revisite la hiérarchie des normes de la pyramide de Kelsen. Il détaille les différentes couches d’un droit qui serait adapté à l’innovation en prenant l’exemple d’un système informatique.

En bas de cette pyramide revisitée, la couche « law as an infrastructure » transcrit les libertés et droits fondamentaux, dont certains sont transcrits dans le RGPD et l’IA Act. Cette couche serait considérée comme inaltérable, et donc incontournable. La deuxième considérée comme « la plus stratégique et moins développée » est celle de la « Law as a platform », sorte d’infrastructure du droit. Une plateforme commune serait alors accessible au sein de l’UE avec l’ensemble des textes indispensables au développement de l’intelligence artificielle. Cette couche ne permettrait rien de moins que de « rendre le droit exécutable dans le code ». Dans les textes européens en préparation devraient alors être intégrées des modifications pour permettre le codage à court terme des textes principaux. Enfin la troisième couche de la pyramide offrirait un cadre agile et évolutif qui accompagnerait les évolutions du droit, à la manière des bacs à sable réglementaires.

La règle de droit est aussi vue comme moyen de renforcer l’acceptabilité, c’est-à-dire la confiance des usagers dans la technologie. Pour développer celle des Français, un peu en retard par rapport à d’autres nationalités, il importe de porter une attention accrue au respect des données personnelles. Le respect du RGPD et de l’AI Act par les développeurs serait alors un moyen de « capturer » des clients, au détriment de concurrents qui ne joueraient pas avec les mêmes règles du jeu. Un cadre commun serait aussi un moyen de réaffirmer la souveraineté européenne, d’être précurseurs, face à d’autres pays qui ont des velléités de créer leur propre cadre, comme la Chine.

Si les entreprises doivent jouer le jeu, le rapport pointe surtout la responsabilité « immense » des régulateurs nationaux et de la Commission européenne pour ne pas offrir aux acteurs extérieurs un avantage concurrentiel majeur. Les auteurs plaident ensuite pour une règle de droit qui dépasserait le cadre territorial, pour se baser sur le lieu où les services seront proposés. En prenant l’exemple des Etats-Unis, qui s’appuient sur les règles d’anti-corruption, pour « affaiblir des entreprises étrangères en concurrence avec des acteurs nationaux », le document souligne à l’inverse qu’un cadre extraterritorial pour le socle européen serait le moyen « de nous protéger contre des acteurs étrangers qui joueraient avec d’autres règles ». On l’aura compris, dans ce que les auteurs qualifient de « rendez-vous avec l’histoire », l’idée est bien de défendre un cadre européen à la fois protecteur mais favorisant l’innovation, pour en faire un argument commercial mais aussi pour se préserver des entreprises étrangères qui ne respecteraient pas le cadre. Selon le rapport, « l’arme du droit », peut être utilisée comme règle de péage pour écarter des marchés publics les entreprises hors-la-loi.

Enfin comme dans les autres sections, le document propose de limiter toute création de règle portant sur le numérique à des motifs de simplification et d’assumer une vision de long terme pour garantir la prévisibilité, nécessaire aux acteurs. Il conclut en insistant sur la nécessité de créer un « Legal Data Space » à l’échelle européenne pour rassembler un maximum d’acteurs à l’échelle du droit et la mise en commun de données juridiques, publiques comme privées.

 

Première section : Encadrer l’IA sans nuire à l’innovation, un rapport du think-thank français Digital new Deal – lamy-liaisons

Deuxième section : Le droit et l’innovation juridique au service de la technologie durable – lamy-liaisons

Marine Landau
Journaliste