Le nouveau rôle stratégique des directions fiscales

La mission des directions fiscales a profondément évolué. Si leur rôle traditionnel consistait principalement à veiller à la conformité aux obligations fiscales et à optimiser la charge fiscale de l’entreprise, elles se trouvent aujourd’hui au cœur d’un nouvel enjeu stratégique : la gestion élargie des risques. Ce périmètre dépasse désormais le simple cadre financier pour intégrer des dimensions extra-financières, notamment le risque pénal — avec la pénalisation croissante de la fiscalité — et le risque de réputation.

Cette transformation s’inscrit dans une mutation plus large du rôle de la fiscalité dans la société et dans la gouvernance des entreprises. La fiscalité ne se pense plus en vase clos, mais en interaction avec les enjeux de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et de développement durable.

Fiscalité et RSE : une alliance inattendue mais nécessaire

Cette édition des « Nouvelles Frontières Fiscales », animée par Stéphane et accueillant Valerie Descamps Gosse — directrice fiscale de transition, précédemment en poste chez GreenYellow, Air Liquide et Suez Environnement — s’intéresse à une thématique encore marginale mais en plein essor : le lien entre fiscalité et RSE. Un terrain encore peu exploré par les fiscalistes, mais qui s’impose peu à peu comme une nouvelle dimension incontournable.

Valerie Descamps Gosse insiste sur le fait que la durabilité n’est pas uniquement une affaire de politique environnementale ou sociale. Elle engage aussi le fiscaliste, notamment lorsqu’il s’agit d’arbitrer entre différentes modalités d’une opération, l’une pouvant être plus agressive fiscalement que l’autre. Sans boussole claire quant à la vision et aux engagements RSE de l’entreprise, il devient difficile pour le fiscaliste de faire les bons choix.

Une transformation stratégique pour les directions fiscales

Le lien entre fiscalité et développement durable n’est plus un simple effet de mode : il devient structurel. Certaines entreprises intègrent déjà la politique fiscale dans leur gouvernance formelle, par une validation en conseil d’administration ou en comité d’audit. Elles disposent ainsi d’une politique fiscale écrite, socle de leur stratégie de conformité et de durabilité. D’autres groupes sont encore en phase de réflexion, mais l’évolution réglementaire, y compris la montée en puissance de la « soft law », rend cette démarche de plus en plus incontournable.

Cette transformation repositionne également la direction fiscale comme un acteur stratégique interne. Il ne s’agit plus seulement d’assurer la pérennité fiscale de l’entreprise, mais aussi celle de la direction fiscale elle-même, en tant que partie prenante clé de la stratégie globale.

Un exemple emblématique : le cas Lego

Illustration concrète de cette évolution : lors d’une conférence organisée au Danemark, Valerie Descamps Gosse a découvert l’organisation fiscale du groupe Lego. Celui-ci a créé un département spécifique de « tax governance » composé de quatre fiscalistes au sein d’une direction fiscale forte de 36 professionnels. Ce positionnement montre à quel point certaines entreprises prennent au sérieux cette nouvelle articulation entre fiscalité, gouvernance et durabilité. Cela constitue aussi une opportunité pour les directions fiscales françaises de renforcer leurs équipes et leur position stratégique.

Pourquoi associer fiscalité, RSE et développement durable ?

Longtemps cantonnée à des considérations techniques, la fiscalité est aujourd’hui perçue comme un marqueur de l’engagement d’une entreprise. La société civile ne tolère plus ni la fraude ni, de plus en plus, les pratiques d’optimisation fiscale agressive. Le concept de « juste montant d’impôt » s’impose, bien qu’il reste dépourvu de définition universelle. Il s’agit désormais pour les entreprises de contribuer activement au développement durable, notamment en payant leurs impôts là où elles créent réellement de la valeur.

Cette transformation s’explique aussi par l’évolution de la fiscalité internationale et les exigences croissantes de transparence. Elle expose les entreprises à des risques de réputation majeurs si elles ne répondent pas à ces attentes, voire à des contentieux.

L’impôt au prisme des risques extra-financiers

Le périmètre de la gestion du risque fiscal s’élargit donc à des dimensions non-financières. Outre le risque pénal, le risque d’image devient central, dans un contexte où les médias généralistes relaient largement les sujets liés à la fiscalité des grandes entreprises. Le champ couvert ne se limite plus à l’impôt sur les sociétés. Les impôts indirects (TVA, accises, droits de douane) — souvent passés sous silence — peuvent représenter des montants bien supérieurs à l’impôt sur les bénéfices et méritent eux aussi une communication transparente.

Transparence fiscale : une pratique en plein essor… et à géométrie variable

L’obligation de reporting fiscal pays par pays (CBCR – Country by Country Reporting) est l’un des piliers de cette nouvelle ère. Initialement réservé aux administrations fiscales, ce reporting est désormais public pour certaines entreprises, exposant celles-ci à un devoir d’explication et de pédagogie. Une entreprise peut légitimement ne pas payer d’impôt dans un pays si elle y impute des déficits, mais l’opinion publique l’accepte difficilement.

Ainsi, certaines entreprises vont plus loin que l’obligation légale et publient volontairement des rapports de transparence fiscale élargis, incluant d’autres types d’impôts, voire des éléments plus sensibles comme leur politique de prix de transfert ou les rulings obtenus auprès de certaines administrations fiscales.

Le contenu de ces rapports peut varier fortement selon les groupes : certains incluent un chapitre entier sur les prix de transfert, d’autres vont jusqu’à mentionner leurs activités de lobbying — à l’image de Vodafone, pionnier en la matière.

Retrouvez tous les 15 jours, toute l’actualité fiscale dans Les Nouvelles Fiscales, la revue de droit fiscal de référence des éditions Lamy.