Une logique commune entre droit et informatique
Franz Vasseur, juriste devenu entrepreneur, illustre parfaitement le lien insoupçonné entre droit et informatique. Selon lui, la clé de l’informatique ne réside pas dans une maîtrise des mathématiques, mais dans une aptitude à la logique – une qualité partagée avec la formation juridique. La rigueur intellectuelle développée à la faculté de droit se transpose aisément dans la logique du code informatique.
Portrait d’un juriste pas comme les autres
Les « Illuminés du droit » – ces professionnels aux profils atypiques – sont aujourd’hui considérés comme le « nouveau normal ». À l’occasion des Rendez-vous des transformations du droit, plusieurs portraits de ces juristes innovants ont été mis en lumière. Parmi eux : Franz Vasseur, installé dans le sud de la France, à la fois avocat, entrepreneur et fondateur de Registre Général, un projet qui mêle passion, rigueur juridique et humour.
Une vocation née à Nanterre
Avant le droit, Franz Vasseur s’intéressait surtout au sport et à l’histoire. C’est à l’université Paris Nanterre qu’il découvre une affinité naturelle avec le droit : une discipline qui lui semble immédiatement accessible. Impliqué dans la vie étudiante, notamment au sein du syndicat L’Âme de fond, il allie sérieux académique et convivialité. Après ses études, il débute sa carrière au sein du prestigieux bureau Francis Lefebvre, véritable institution juridique.
Le bureau Francis Lefebvre : une école de rigueur
Travailler chez Francis Lefebvre représente une étape marquante. L’ambiance y est structurée, presque institutionnelle, avec à sa tête un ancien inspecteur des impôts. Ce cadre formel favorise une compréhension fine des liens entre secteur privé et administration fiscale. Franz Vasseur y croise plusieurs figures devenues influentes, toutes animées par le respect d’un droit rigoureux, où l’on ne triche pas.
Cependant, cette organisation cloisonnée limite les velléités entrepreneuriales. Affecté à la section contentieux en droit des affaires, il découvre qu’il est difficile de passer au conseil. Frustré par cette barrière, il décide de rejoindre Philippe Brunswick pour se former à cette nouvelle dimension du métier.
Naissance d’une première innovation juridique
Entre ces deux expériences, une idée novatrice germe lors d’un vol entre Paris et Le Caire. Constatant l’arrivée massive des e-mails dans les pratiques professionnelles, Franz Vasseur imagine un dispositif permettant de leur conférer une valeur juridique stable : la lettre recommandée électronique. Il dépose un brevet en septembre 2000.
Malgré un profil davantage littéraire que technique, il tire parti de son esprit logique et de ses connaissances autodidactes en informatique, acquises dès l’enfance. La rédaction du brevet repose avant tout sur une compréhension fine des usages des utilisateurs et sur une capacité à traduire ces besoins en solutions concrètes.
Un projet pionnier: Certimel
Grâce au soutien de Philippe Brunswick, lui-même juriste et diplômé d’HEC, le projet prend de l’ampleur. Ensemble, ils collaborent avec France Télécom R&D (devenue Orange) en s’appuyant sur les briques logicielles développées en interne. Un spin-off est créé : Certimel, une structure d’une dizaine de personnes chargée de concrétiser la solution.
Un épisode marquant se produit lorsque le directeur de France Télécom R&D découvre que Franz Vasseur détient encore le brevet. Un contrat est rapidement signé : une moitié du brevet est cédée à France Télécom, l’autre au spin-off, officialisant le transfert technologique. À partir de là, l’entreprise prend les commandes tandis que Franz se retire du projet opérationnel.
Propriété intellectuelle et cabinet indépendant
En parallèle de cette aventure technologique, Franz Vasseur poursuit son activité d’avocat. Fort de son expérience de dépôt de brevet, de marque et de négociation avec France Télécom, il devient rapidement une référence en propriété intellectuelle. Il développe cette expertise au sein du cabinet Brunswick avant de se lancer en solo.
En tant qu’avocat indépendant, il maîtrise l’ensemble des maillons de la chaîne juridique, sans ressentir le besoin de créer une structure plus lourde. Toutefois, il garde en tête qu’il en serait capable le moment venu. Le modèle d’exercice traditionnel évolue : les technologies transforment la façon de structurer un cabinet. Franz Vasseur rejoint alors une structure originale.
Constellation Avocat : un modèle d’avant-garde
Il intègre Constellation Avocat, un collectif fondé par Pierre Callède, Alexis Moisand et d’autres confrères. Le nom n’est pas choisi au hasard : chaque avocat y est une étoile, un expert dans son domaine, formant un ensemble cohérent, agile et collaboratif. Ce modèle fait écho à d’autres initiatives comme Square, qui réinventent l’exercice du droit.
Une coopérative intellectuelle pour une pratique plus souple du droit
Franz Vasseur décrit une organisation qui fonctionne comme une coopérative de juristes, fondée sur la collaboration, le partage de savoir-faire et d’outils, mais où chaque professionnel conserve son autonomie. Cette approche permet une montée en puissance rapide en fonction des besoins des dossiers, sans les lourdeurs structurelles d’une structure classique. On y trouve un véritable équilibre entre indépendance et synergie, entre rigueur professionnelle et lien humain, souvent tissé autour de valeurs communes.
Cette forme de collaboration souple et agile est rendue possible par une confiance mutuelle et des règles claires. Ce modèle alternatif favorise l’entraide entre pairs tout en préservant la liberté de chacun. Il s’agit d’un changement de paradigme dans la manière d’exercer le droit, qui s’inscrit dans un mouvement plus large de transformation des pratiques professionnelles.
Le registre général : une révolution technologique née d’un besoin terrain
Parmi les outils innovants évoqués, le Registre Général occupe une place centrale. Son origine vient d’un constat simple mais lourd de conséquences : pendant vingt ans, l’avocat a rempli manuellement des registres de procès-verbaux et de mouvements de titres, dans des conditions fastidieuses. L’arrivée d’un décret en décembre 2018, autorisant la tenue de ces registres sur blockchain, a ouvert la voie à une dématérialisation sécurisée de ces documents fondamentaux.
Ce projet, amorcé bien avant la parution du texte, s’est appuyé sur des partenariats solides : des députés, des avocats, des chefs de projet, et des institutions comme France Digitale ou la Conférence des Bâtonniers. L’outil a été pensé par des juristes, pour des juristes, avec une attention particulière portée à l’ergonomie et à la continuité des pratiques : il s’agit de transposer le registre papier sur un écran, sans perturber les utilisateurs.
Le Registre Général permet désormais de tenir différents types de registres (titres, procès-verbaux, personnel, etc.), mais aussi d’effectuer des formalités. C’est un véritable socle documentaire numérique, qui cristallise l’identité juridique d’une personne morale. À ce titre, il devient une data room légale permanente, à la fois outil de travail et outil de preuve.
Une double casquette : avocat et chef d’entreprise
Stéphane Baller insiste sur la difficulté mais aussi l’enrichissement que représente le fait de cumuler les rôles d’avocat indépendant et de chef d’entreprise. Il souligne l’importance de ne pas mélanger les casquettes, en respectant scrupuleusement les règles déontologiques propres à chaque fonction. Lorsqu’il agit comme avocat, il adopte la rigueur du technicien du droit, à jour des dernières jurisprudences et textes. Lorsqu’il porte la casquette d’entrepreneur, il s’agit de piloter, organiser, vendre, recruter, anticiper.
Cette distinction est essentielle pour éviter la confusion des rôles, mais elle est facilitée par le fait d’exercer en indépendant, sans équipe de collaborateurs à gérer. C’est ce format agile qui permet d’expérimenter, de créer et de conduire des projets comme le Registre Général, sans perdre la maîtrise de sa propre organisation.
Une projection dans un monde juridique en mutation rapide
Interrogé sur l’avenir, Franz Vasseur adopte un ton lucide. Le secteur juridique vit une transformation profonde : après la blockchain, c’est au tour de l’IA générative de bouleverser les usages. Si ces technologies font incontestablement gagner du temps, elles auront aussi un impact sur le modèle économique des cabinets. Dans ce contexte, le rôle de l’avocat pourrait évoluer vers un contrôle de la production des IA, avec une exigence de vérification juridique renforcée.
Deux types d’organisations semblent émerger : les indépendants ultra-agiles, capables de s’adapter rapidement, et les grandes structures dotées de moyens importants pour internaliser des équipes spécialisées dans l’IA ou les nouveaux outils. Le modèle intermédiaire risque, selon Stéphane Baller, de se fragiliser. Les Legal Techs devront donc, plus que jamais, penser l’usage client dès le départ, car le marché est long à conquérir et la promesse technologique seule ne suffit pas.
Le développement du Registre Général : un projet de long terme
Stéphane Baller partage quelques éléments de trajectoire : Registre Général, créé en 2019, devrait atteindre l’équilibre financier début 2026. L’entreprise prépare déjà de nouvelles offres, dans un esprit d’adaptation constante. Il rappelle cependant que ce type de projet demande de la patience, de l’investissement humain, et une véritable compréhension du marché ciblé.
Contrairement à certains projets portés par des profils commerciaux, beaucoup d’avocats qui se lancent dans la Legal Tech négligent parfois la nécessité de bâtir un produit vendable, compris et désirable pour les utilisateurs finaux. Le défi est donc autant technique que stratégique, avec une exigence forte de connaissance client et de positionnement.
Entre innovation et éthique : la vision prospective du droit selon Franz Vasseur
Une organisation souple et collaborative entre avocats
Franz Vasseur revient longuement sur la structure souple dans laquelle il évolue, qu’il décrit comme une forme de coopérative intellectuelle. Plusieurs avocats et juristes, chacun indépendant, partagent outils, méthodes et savoir-faire, tout en gardant leur autonomie. Cette mutualisation intelligente permet de monter en puissance sur certains dossiers en s’appuyant sur les compétences croisées des uns et des autres, avec une réelle souplesse d’intervention.
Ce modèle, à la fois libre et structuré, favorise la collaboration sur des bases de valeurs communes plutôt que de contraintes hiérarchiques ou immobilières. Une alternative stimulante à l’exercice traditionnel du métier, qui donne « plus d’imagination, plus de liberté, plus d’histoire d’amis », tout en respectant des règles claires de fonctionnement.
Le registre général : un tournant pour la LegalTech
Au cœur de cette nouvelle approche se trouve un outil central : le Registre Général, une LegalTech conçue par les juristes, pour les juristes. Longtemps contraints de tenir à la main les registres de procès-verbaux et les registres de mouvements de titres sur papier, les professionnels du droit étaient limités par des exigences juridiques rigides.
Mais deux décrets – celui du 24 décembre 2018 sur les registres de titres, puis celui d’octobre 2019 sur les procès-verbaux – ont ouvert la voie à une tenue électronique sur blockchain. Franz Vasseur, engagé depuis des années sur ce sujet, a ainsi co-construit une plateforme ergonomique qui reproduit l’expérience du papier, mais sur écran, avec un haut niveau de sécurité et de conformité.
Ce registre permet aujourd’hui de tenir :
- les registres de titres,
- les procès-verbaux,
- les registres du personnel,
- et des registres sur mesure selon les besoins.
Le tout avec l’objectif de constituer une véritable data room légale permanente, reflet fidèle de l’ADN juridique d’une entreprise.
Concilier les rôles d’avocat et d’entrepreneur
Être à la fois avocat et chef d’entreprise est un exercice d’équilibre. Franz Vasseur insiste sur l’importance de ne pas mélanger les casquettes : l’avocat agit dans le cadre déontologique de sa profession, tandis que le chef d’entreprise cherche à satisfaire une clientèle par une approche plus commerciale, mais toujours éthique.
Ce double rôle implique d’être rigoureux et agile. Tandis que l’avocat reste un technicien du droit, toujours à jour des dernières jurisprudences, le chef d’entreprise adopte une vision plus globale, impliquant gestion, développement produit, relations commerciales, stratégie… Avec un message clair : « un dirigeant qui ne sait pas où il va, il va dans le mur ».
Cette position hybride est rendue possible, selon lui, par le choix de l’indépendance. En exerçant seul, sans salariés directs, il conserve la liberté nécessaire pour développer ses projets entrepreneuriaux à côté de son activité de conseil.
Les bouleversements de l’intelligence artificielle
Dans sa projection à moyen terme, Franz Vasseur identifie un enjeu de taille : l’arrivée massive de l’IA générative dans le secteur juridique. Si ces outils permettent un gain de temps évident, ils posent aussi la question de la qualité, de la conformité, et de la responsabilité.
Les avocats pourraient devenir à l’avenir les contrôleurs humains de la production automatisée, garants de la validité juridique de contenus générés par des IA. Cette transformation implique une évolution des outils, mais aussi des rôles professionnels.
Franz Vasseur identifie deux limites potentielles au développement exponentiel de l’IA :
- Le retour sur investissement (ROI), qui questionne la pertinence économique des sommes investies dans l’IA.
- La disponibilité des données, car les IA risquent d’entrer dans une phase autophage où elles s’entraînent uniquement sur des contenus générés par d’autres IA, perdant ainsi en qualité et en diversité.
Pour y répondre, il mise sur une gestion active et souveraine des données, dans laquelle chaque organisation pourrait développer sa propre IA spécialisée, capable de puiser dans des bases de données internes rigoureusement constituées. Le Registre Général s’inscrit déjà dans cette logique, avec le développement de modules permettant d’analyser automatiquement un historique de procès-verbaux, de les reclasser, et de les intégrer à un système structuré après validation humaine.
Une dynamique collective portée par AvoTech
Franz Vasseur conclut en mettant en avant son engagement en tant que vice-président d’AvoTech, une initiative dédiée aux avocats entrepreneurs dans le domaine des LegalTech. Fondée par Matthieu Davy et une communauté active, AvoTech soutient la profession dans ses mutations, notamment via des échanges entre pairs, des événements et une plateforme d’information (avotech.club).
Ce mouvement, allié à d’autres comme Open Law, participe à une modernisation en profondeur de la pratique juridique, sans renoncer à ses fondements.
Ainsi s’achève cette plongée dans l’univers de Franz Vasseur, à la croisée du droit, de la technologie et de l’entrepreneuriat. Loin des caricatures, il incarne un professionnel curieux, structuré et engagé, résolument tourné vers l’avenir d’une profession en pleine mutation.
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