De la vocation familiale au choix d’un droit moderne

Issue d’une famille d’avocats, Leïla Sayssa a grandi dans un environnement où la profession semblait une évidence. « Au Liban, on a trois choix : ingénieur, docteur ou avocat », confie-t-elle. Si elle hésitait à l’origine entre médecine et droit, c’est finalement la possibilité d’aider des clients à résoudre leurs problèmes qui l’a séduite. Le métier d’avocat lui est alors apparu comme une voie naturelle, mêlant autonomie, réflexion et utilité sociale.

Des études entre Beyrouth et Paris : le goût du comparatisme juridique

Diplômée de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, Leïla Sayssa a bénéficié d’une formation axée sur le droit comparé, confrontant sans cesse le droit libanais et le droit français. Cette approche a nourri sa curiosité intellectuelle et son envie de poursuivre ses études en France. Après une licence et un master 1 en droit des affaires internationales, elle s’oriente vers un master 2 en France — un choix motivé par sa volonté d’explorer le droit du numérique plutôt que l’arbitrage, spécialité dominante dans son université d’origine.

Au moment de son départ, le Liban connaissait une effervescence entrepreneuriale autour des start-ups et de la technologie. Leïla Sayssa, fascinée par ce mouvement, souhaitait accompagner juridiquement ces projets plutôt que de s’enfermer dans le contentieux international classique. Ce positionnement, novateur pour son milieu, lui a d’ailleurs valu quelques critiques : « On m’a dit que c’était une erreur, que j’avais de bonnes notes, que je parlais trois langues… Mais j’avais envie d’autre chose. »

Le poids des langues et de la culture juridique

Polyglotte, elle maîtrise l’arabe classique, le français et l’anglais — un atout majeur dans la pratique du droit international et du numérique. Elle souligne la complexité du vocabulaire juridique en arabe, souvent difficile à manier, même pour les locuteurs natifs. Cette compétence rare renforce sa capacité à naviguer entre les systèmes juridiques et culturels.

L’expérience parisienne : une formation entre confinement et résilience

Arrivée à Paris en 2020, en pleine pandémie de Covid-19, Leïla Sayssa débute son master 2 dans des conditions exceptionnelles. Les cours se passent en ligne, les interactions se font à distance, et les stages deviennent le principal espace d’apprentissage. Malgré cette période frustrante sur le plan personnel, elle tire le meilleur parti de la situation : rédaction de mémoire, participation à des projets académiques, et deux stages réalisés en parallèle.

Entre grands cabinets et structures spécialisées : la richesse de la diversité

Ses expériences professionnelles reflètent sa curiosité et son envie de diversité. Chez Baker McKenzie, un grand cabinet international, elle découvre la multiplicité des dossiers et la richesse des problématiques juridiques. Dans un plus petit cabinet spécialisé en droit du sport, elle expérimente une approche plus complète des dossiers, du début à la fin, en contact direct avec les clients.

Pour elle, cette diversité est formatrice : « Dans les grands cabinets, on travaille sur une question précise ; dans les petits, on voit l’ensemble du problème. » Pourtant, ce parcours atypique est parfois mal perçu : certains recruteurs préfèrent des profils linéaires, fidèles à un seul type de structure.

Leïla Sayssa a aussi travaillé dans des environnements variés comme la BNP ou Ledger, une licorne française de la crypto. Ces expériences lui ont permis d’explorer la réalité du droit de la tech, loin des salles d’audience.

Vers la LegalTech : l’appel de l’entrepreneuriat juridique

Fidèle à son esprit d’initiative, elle s’inscrit ensuite au DU Transformation Digitale du Droit et LegalTech de l’Université Paris II Panthéon-Assas. Présidente de l’association Assas Future of Law, elle incarne cette génération d’avocats hybrides, à la croisée du droit, de la technologie et de l’innovation.

Son parcours illustre une évolution majeure du secteur juridique : la montée en puissance des profils interdisciplinaires, capables de comprendre à la fois les enjeux juridiques, techniques et économiques des transformations en cours.

Trouver sa voie dans la LegalTech : entre droit, innovation et entrepreneuriat

Leïla Sayssa confie qu’elle cherchait depuis longtemps un équilibre entre la rigueur du droit et la créativité de l’innovation. C’est en participant au Rendez-vous de la Transformation du Droit, un événement phare du secteur organisé par Open Law et le Village de la Justice, qu’elle découvre la voie idéale : la LegalTech. Ce domaine émergent, à la croisée du juridique et du numérique, incarne pour elle la réponse à son besoin d’un métier à la fois intellectuel et concret.

Le Diplôme Universitaire Transformation Digitale du Droit et LegalTech : un tremplin vers l’innovation

C’est ainsi qu’elle rejoint le DU Transformation Digitale du Droit et LegalTech de l’Université Paris II Panthéon-Assas. Depuis le début de sa formation, elle s’immerge dans des cours à la fois théoriques et pratiques sur l’économie du droit, l’intelligence artificielle, la gestion de projet et les nouveaux modèles d’affaires du secteur juridique.

Si elle n’a pas encore trouvé l’idée de start-up qu’elle souhaite développer, elle se nourrit des enseignements et de l’émulation collective. « On ne fait pas que du droit. On touche à d’autres sujets, on réfléchit à la place du juriste dans un monde numérique », explique-t-elle.

Assas Future of Law : fédérer les juristes de demain

Parallèlement à ses études, elle préside l’association Assas Future of Law, qui rassemble anciens et actuels étudiants du DU. L’objectif ? Créer un réseau actif d’innovation et de partage d’expérience entre juristes, entrepreneurs et experts de la tech.

L’association est déjà à l’origine de belles réussites : certaines LegalTech, comme Easy Paper, sont nées directement des projets développés dans le cadre du diplôme. Pour Leïla Sayssa, ces exemples montrent la puissance du collectif et la pertinence de cette formation hybride, capable de transformer une idée en entreprise viable.

Une expérience professionnelle au cœur de la conformité numérique

Récemment, elle a intégré Dastra, une LegalTech spécialisée dans la mise en conformité et la protection des données personnelles. Ce poste reflète parfaitement son profil transversal : elle y mobilise son expertise juridique, mais participe également au développement produit, au marketing et à la réflexion technique autour de la plateforme.

« C’est un poste où on se découvre », souligne-t-elle. Sortir du cadre purement juridique lui permet d’explorer de nouvelles compétences et d’interagir avec des profils variés — ingénieurs, designers, marketeurs — dans un environnement résolument tourné vers l’avenir.

Une formation collaborative et concrète

Leïla Sayssa insiste sur la dimension interactive et appliquée du DU : les cours ne se limitent pas à des exposés magistraux, mais favorisent les échanges et les travaux collaboratifs. Les profils sont très divers : juristes, ingénieurs, professionnels en reconversion ou étudiants en début de parcours. Cette pluralité nourrit la richesse des débats et prépare les étudiants à la réalité pluridisciplinaire de la LegalTech.

Elle se prépare d’ailleurs à participer à la grande étape du Techno-Droit, une compétition organisée en novembre à la Cité des Sciences et de l’Industrie, dans le cadre des Rendez-vous de la Transformation du Droit. L’événement, co-organisé par Open Law et le Village de la Justice, réunit les jeunes entrepreneurs juridiques pour présenter leurs projets innovants. C’est dans ce cadre qu’ont émergé plusieurs LegalTech prometteuses — un passage presque incontournable pour les talents du numérique juridique.

Un pont entre la France et le Liban : pour une transformation du droit adaptée aux réalités locales

Interrogée sur la suite de son parcours, Leïla Sayssa évoque son ambition de devenir ambassadrice du DU au Liban. Elle souhaite y partager les acquis de la formation française, tout en tenant compte des spécificités locales. « On ne peut pas transposer directement les modèles français au Liban. Il faut d’abord comprendre les enjeux et la réalité administrative », explique-t-elle.

Si la digitalisation du droit avance plus lentement au Liban, elle estime que les compétences et les talents ne manquent pas : « Ce n’est pas un problème de savoir-faire, mais de contexte. Son objectif est donc d’accompagner l’émergence d’un écosystème juridique numérique libanais, inspiré des pratiques européennes, mais ancré dans la culture locale.

La transformation numérique du droit : une question de mentalité, pas d’âge

Sur la question générationnelle, Leïla Sayssa rejette l’idée d’un fossé entre jeunes juristes et praticiens plus expérimentés :
« Ce n’est pas vrai de dire que la génération de mon père ne saura pas faire. Certains s’adaptent même mieux que les jeunes. »
Selon elle, la transformation digitale du droit repose moins sur l’âge que sur la curiosité et la volonté d’apprendre. Les nouvelles générations bénéficient certes d’une familiarité naturelle avec les outils numériques, mais la réussite de la digitalisation du secteur dépend surtout de la coopération intergénérationnelle.

Une génération d’avocats hybrides et visionnaires

À travers le parcours de Leïla Sayssa, c’est toute une génération de juristes hybrides qui se dessine — des professionnels du droit ouverts à la technologie, à l’entrepreneuriat et à l’innovation. Ces nouveaux profils, capables de naviguer entre conformité juridique, développement produit et stratégie digitale, redéfinissent en profondeur la pratique du droit.

Son témoignage illustre une évolution majeure : le juriste de demain ne sera pas seulement expert du droit, mais aussi acteur de la transformation numérique du secteur.